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1945-03-00.htm
<CENTER><I><FONT SIZE=+2>Le [[temps ]] logique et l'assertion</FONT></I></CENTER>
<CENTER><I><FONT SIZE=+2>de certitude anticipée</FONT></I></CENTER>
<CENTER><I><FONT SIZE=+1>Un nouveau sophisme</FONT></I></CENTER>
<CENTER><B><FONT SIZE=+1>Jacques [[Lacan]]</FONT></B></CENTER>
<FONT SIZE=-1> Il nous fut [[demand]]é en mars 1945<B> </B>par[[Christian ]] Zervos de contribuer avec un certain nombre d'écrivains
au numéro de reprise de sa revue, <I>les Cahiers d'Art, </I>conçu
au dessein de combler du palmarès de son sommaire, une parenthèse
<I>Un problème de logique.</I></H3>
Le directeur de la prison fait comparaître trois détenus de
[[choix ]] et leur communique l'avis suivant :
<I>"Pour des raisons que je n'ai pas â vous rapporter maintenant,
noirs. Sans lui faire connaître duquel j'aurai fait choix, je vais
fixer â chacun de vous un de ces disques entre les deux épaules,
c'est-à-[[dire ]] hors de la portée directe de son [[regard]], toute
possibilité indirecte d'y atteindre par la vue étant également
exclue par l'[[absence ]] ici d'aucun moyen de se mirer.</I>
<I>"Dès lors, tout loisir vous sera laissé de considérer
vos compagnons et les disques dont chacun d'eux se montrera porteur, sans
qu'il vous soit permis, bien entendu, de vous communiquer l'un à
l'[[autre ]] le résultat de votre inspection. Ce qu'au [[reste ]] votre intérêt
seul vous interdirait. Car c'est le premier à pouvoir en conclure
sa propre couleur qui doit bénéficier de la mesure libératoire
dont nous disposons.</I>
<I>"[[Encore ]] faudra-t-il que sa conclusion soit fondée sur des
motifs de logique, et non seulement de probabilité. A cet effet,
il est convenu que, dès que l'un d'entre vous sera prêt à
temps</I>, les trois sujets font ensemble <I>quelques pas</I> qui les mènent
de front à franchir la porte. Séparément, chacun fournit
alors une réponse [[semblable ]] qui s'exprime ainsi :
<I>"Je suis un blanc, et voici comment je le sais. Etant donné
Non certes que nous allions à conseiller d'en faire l'épreuve
au naturel, encore que le progrès antinomique de notre époque
semble depuis quelque temps en mettre les [[conditions ]] à la portée
d'un toujours plus grand nombre nous craignons, en effet, bien qu'il ne
soit ici prévu que des gagnants, que le fait ne s'écarte
plus pour le fin du fin de la liberté humaine.
Mais, pratiquée dans les conditions innocentes de la [[fiction]],
l'expérience ne décevra pas, nous nous en portons garant,
ceux qui gardent quelque goût de s'étonner. Peut-être
du moins Si nous faisons foi à ce qui nous a paru s'en dégager,
pour l'avoir essayée sur divers groupes convenablement choisis d'intellectuels
qualifiés, d'une toute spéciale mé[[connaissance]], chez
ces sujets, de la réalité d'autrui.
de la solution présentée. Elle nous apparaît en effet
comme un remarquable sophisme, au sens classique du mot, c'est-à-dire
comme un exemple significatif pour résoudre les formes d'une [[fonction]]logique au [[moment ]] historique où leur problème se présenteà l'examen philosophique. Les [[images ]] sinistres du récit s'y
montreront certes contingentes. Mais, pour peu que notre sophisme n'apparaisse
pas sans répondre à quelque actualité de notre temps,
il n'est pas superflu qu'il en porte le [[signe ]] en de telles images, et c'est
pourquoi nous lui en conservons le support, tel que l'hôte ingénieux
d'un soir l'apporta à notre réflexion.
se présente sous l'habit du philosophe, qu'il faut plus souvent
chercher ambigu dans les propos de l’humoriste, mais qu'on rencontre toujours
au [[secret ]] de l'[[action ]] du politique, le bon logicien, odieux au monde.
<BR>
<H3>
<B><I>[[Discussion ]] du sophisme.</I></B></H3>
Tout sophisme se présente d'abord comme une erreur logique, et l'objection
à celui-ci trouve facilement son premier argument. On appelle A
le [[sujet ]] réel qui vient conclure pour lui-même, B et C ceux
réfléchis sur la conduite desquels il établit sa déduction.
Si la conviction de B, nous dira-t-on, se fonde sur l'expectative de C,
A quoi il faut répliquer d'abord que toute cette cogitation de
B et de C leur est imputée <I>à faux</I>, puisque la [[situation]]qui seule pourrait la motiver chez eux de [[voir ]] un noir n'est pas la vraie,et qu'il s'agit de [[savoir ]] si, cette situation étant supposée,
son développement logique leur est imputé <I>à tort</I>.
Or il n'en est rien. Car, dans cette hypothèse, c'est le fait qu'aucun
Mais l'objection se représente plus forte à la seconde
étape de la déduction de A. Car, Si c'est à bon [[droit]]
qu'il est venu à sa conclusion qu'il est un blanc, en posant que,
s'il était noir, les autres ne tarderaient pas à se savoir
blancs et devraient sortir, voici qu'il lui faut en revenir, aussitôt
l'a-t-il [[form]]ée, puisque au moment d'être mû par elle,
il voit les autres s'ébranler avec lui.
C ce sont les deux autres en tant<B> </B>qu'objets du raisonnement de A.
Mais, Si celui-ci peut lui imputer correctement, nous venons de le montrer,
une cogitation en fait fausse, il ne saurait tenir compte que de leur [[comportement]]
réel.
la<B> </B>rigueur contraignante d'un procès logique, à la
condition qu'on lui intègre la valeur des deux <I>scansions suspensives</I>,
que cette épreuve montre le vérifier dans l'[[acte ]] même
où chacun des sujets manifeste qu'il l'a mené à sa
conclusion.
2° la donnée d'expérience des motions suspendues,
qui équivaudrait à un [[signal ]] par où les sujets se
communiqueraient l'un à l'autre, sous une forme déterminée
par les conditions de l'épreuve, ce qu'il leur est interdit d'échanger
se présente comme une aporie pour les formes de la logique classique,
dont le prestige "éternel" reflète cette infirmité
non moins reconnue pour être la leur<A [[Name|NAME]]="bknote1"></A><SUP><A HREF="#note1">[1]</A></SUP>
: à savoir qu'elles n'apportent jamais rien qui ne puisse déjà
<I>être vu d'un seul coup</I>.
Tout au contraire, l'entrée en jeu comme signifiants des phénomènes
ici en litige fait-elle prévaloir la [[structure ]] temporelle et non
pas spatiale du procès logique. Ce que les <I>motions suspendues</I>
dénoncent, ce n'est pas ce que les sujets voient, c'est ce qu'ils
d'arrêt</I>. Leur valeur cruciale n'est pas celle d'un choix binaire
entre deux combinaisons juxtaposées dans l'inerte<A NAME="bknote2"></A><SUP><A HREF="#note2">[2]</A></SUP>,
et dépareillées par l'[[exclusion ]] visuelle de la troisième,
mais du mouvement de vérification institué d'un procès
logique où le sujet a transformé les trois combinaisons possibles
Elles n'y représentent rien en effet que les paliers de dégradation
dont la nécessité fait apparaître l'[[ordre ]] croissant
des instances du temps qui s'enregistrent dans le procès logique
pour s'intégrer dans sa conclusion.
Comme on le voit dans la dé[[termination ]] logique des <I>temps d’arrêt</I>
qu'elles constituent, laquelle, objection du logicien ou doute du sujet,
se révèle à chaque fois comme le déroulement
[[subjectif ]] d'une [[instance ]] du temps, ou pour mieux dire, comme la fuite du
sujet dans une exigence formelle.
<H3>
<B><I>La modulation du temps dans le mouvement du sophisme : l'instant
du regard, le temps pour comprendre et [[le moment de conclure]].</I></B></H3>
Il s'isole dans le sophisme trois <I>moments de l'évidence</I>,
dont les valeurs logiques se révéleront différentes
et d'ordre croissant. En exposer la succession chronologique, c'est encore
les spatialiser selon un formalisme qui tend à réduire le
[[discours ]] à un alignement de signes. Montrer que l'instance du temps
se présente sous un <I>mode</I> différent en chacun de ces
moments, c'est préserver leur hiérarchie en y révélant
si l'on peut dire, serait égal à zéro.
<BR> Mais sa formulation au départ déjà se module
: par la [[subjectivation ]] qui s'y dessine, encore qu'impersonnelle sous la
forme de l' "on sait que...", et par la conjonction des propositions qui,
plutôt qu'elle n'est une hypothèse formelle, en représente
sujet lui-même. Dans ce passage, le sujet rencontre la suivante combinaison
logique et, seul à pouvoir y assumer l'attribut du noir, vient,
dans la première [[phase ]] du mouvement logique, à formuler ainsi
l'évidence suivante
ne tarderaient pas à se reconnaître pour être des blancs</I>.
<BR> C'est là une <I>intuition</I> par où le sujet
<I>[[objective]]</I> quelque [[chose ]] de plus que les données de fait dont
l'aspect lui est offert dans les deux blancs; c'est un certain temps qui
se définit (aux deux sens de prendre son sens et de trouver sa limite)
l'instance du temps qui le soutient objectivement, se poursuit chez le
sujet en une réflexion, où cette instance ressurgit pour
lui sous le mode subjectif d'un <I>temps de [[retard]]</I> sur les autres dans
ce mouvement même, et se présente logiquement comme l'urgence
du <I>moment de conclure</I>. Plus exactement, son évidence se révèle
dans la pénombre [[subjective]], comme l'illumination croissante d'une
frange à la limite de l'éclipse que subit sous la réflexion
l'objectivité du <I>temps pour comprendre</I>.
même. C'est donc le <I>moment de conclure</I> qu'il est blanc; s'il
se laisse en effet devancer dans cette conclusion par ses semblables, il
<I>ne pourra plus reconnaître</I> s'il n'est pas un noir. [[Pass]]é<I>
le temps pour comprendre le moment de conclure, c'est le moment de conclure
le temps pour comprendre</I>. Car autrement ce temps perdrait son sens.
<BR>
<H3>
<I>La tension du temps dans l'assertion subjective et sa valeur [[manifest]]ée
dans la démonstration du sophisme.</I></H3>
La valeur logique du troisième moment de l'évidence, qui
se noue en une motivation de la conclusion, "<I>pour qu'il n’y ait pas</I>"
(de retard qui engendre l'erreur), où semble affleurer la forme
ontologique de l'[[angoisse]], curieusement reflétée dans l'expression
grammaticale équivalente, "<I>de peur que</I>" (le retard n'engendre
l'erreur)...
propre est assez parallèle à sa naissance psychologique.
De même que, pour le rappeler en effet, le "je" psychologique se
dégage d'un [[transitivisme ]] spéculaire indéterminé,
par l'appoint d'une tendance éveillée comme jalousie, le
"<I>je</I>" dont il s'agit ici se définit par la subjectivation
par le sophisme c'est qu'il anticipe sur sa certitude en raison de la tension
temporelle dont il est chargé subjectivement et qu’à condition
de cette [[anticipation ]] même, sa certitude se vérifie dans une
précipitation logique que détermine la décharge de
cette tension, pour qu'enfin la conclusion ne se fonde plus que sur des
de conclure</I>.
Assurément, si le doute, depuis [[Descartes]], est intégré
à la valeur du jugement, il faut remarquer que, pour la forme d'assertion
ici étudiée, cette valeur tient moins au doute qui la suspend
que nous avons déjà intéressé à la motion
d'ensemble des sujets. Rien de plus que ceci c'est que chacun, s'il était
[[impossible ]] jusque-là de juger dans quel sens il avait conclu, rnanifeste
une incertitude de sa conclusion, mais qu'il l'aura certainement confortée
si elle était correcte, rectifiée peut-être si elle
vérifiée que de sa <I>présomption</I>, si l'on peut
dire, dans l'assertion qu'il constitue. Elle se révèle ainsi
dépendre d'une tendance qui la vise, [[notion ]] qui serait un paradoxe
logique, si elle ne se réduisait à la tension temporelle
qui détermine le moment de conclure.
uns, peut engendrer, sinon confirmer, l'erreur chez les autres. Et encore
ceci que, si dans cette course à la vérité, on n'est
que seul, si l'on n'est tous, à toucher au [[vrai]], aucun n'y touche
pourtant sinon par les autres.
Assurément ces formes trouvent facilement leur application dans
la pratique à une table de bridge ou à une conférence
diplomatique, voire dans la manœuvre du "[[complexe]]" en pratique psychanalytique.
Mais nous voudrions indiquer leur apport a la notion logique de collectivité.
nombre égal au nombre des sujets moins un<A NAME="bknote5"></A><SUP><A HREF="#note5">[5]</A></SUP>.
Mais l'objectivation temporelle est plus difficile à concevoir à
mesure que la collectivité s'accroît, [[semblant ]] faire obstacle
à une <I>logique collective</I> dont on puisse compléter
la logique classique.
Nous montrerons pourtant quelle réponse une telle logique devrait
apporter à l'inadéquation qu'on ressent d'une [[affirmation]]telle que "Je suis un [[homme]]", à quelque forme que ce soit de la
logique classique, qu'on la rapporte en conclusion de telles prémisses
que l'on voudra. ("<I>L'homme est un [[animal ]] raisonnable</I>"..., etc.)
Assurément plus près de sa valeur véritable apparaît-elle
<BR><FONT SIZE=-2> </FONT>
<BR><A NAME="note1"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote1">[1]</A> Et non
moins celle des esprits formés par cette [[tradition]], comme en témoigne
le billet suivant que nous reçûmes d'un esprit pourtant aventureux
en d'autres domaines, après une soirée où la discussion
est encore la "première personne", mais aussi la seule et la dernière.
Car la deuxième personne grammaticale relève d'une autre
fonction du [[langage]]. Pour la troisième personne grammaticale, elle
n'est que prétendue c'est un démonstratif, également
applicable au [[champ ]] de l'énoncé et à tout ce qui s'y
particularise.
# En voici l'exemple pour quatre sujets, quatre disques blanc, trois disques noirs.<BR>A pense que, s'il était un noir, l'un quelconque de B, C, D pourrait penser des deux autres que, si lui-même était noir, ceux-ci ne tarderaient pas à savoir qu'ils sont des blancs.<BR>L'un quelconque de B, C, D devrait donc en conclure rapidement qu'il est lui-même blanc, ce qui n'apparaît pas. Lors A se rendant compte que, s'ils le voient lui noir, B, C, D ont sur lui l'avantage de n'avoir pas à en faire la supposition, se hâte de conclure qu'il est un blanc.<BR>Mais ne sortent-ils pas tous en même temps que lui?<BR>A, dans le doute, s’arrête, et tous aussi. Mais, si tous aussi s’arrêtent, qu'est-ce à dire? Ou bien c'est qu'ils s’arrêtent en proie au même doute que A, et A peut reprendre sa course sans souci. Ou bien c'est que A est noir, et que l'un quelconque de B, C, D est venu à douter Si le départ des deux autres ne signifierait pas qu'il est un noir, aussi bien à penser que, s'ils s’arrêtent, ce n'est pas pour autant qu'il soit lui-même blanc, puisque l'un ou l'autre peut encore douter un instant s'il n'est pas un noir; encore peut-il poser qu'il devraient tous les deux repartir avant lui s'il est lui-même un noir, et repartir lui-même de cette attente vaine, assuré d'être ce qu'il est, c’est-à-dire blanc. Que B, C, D, donc ne le font-ils? Car alors je le fais, dit A. Tous repartent alors.<BR><BR>Second arrêt. En admettant que je sois noir, se dit A, l'un quelconque de B, C, D doit maintenant être fixésur ceci qu'il ne saurait imputer aux deux autres une nouvelle hésitation, s'il était noir; qu'il est donc blanc. B, C, D doivent donc repartir avant lui. Faute de quoi A repart, et tous avec<B> </B>lui.<BR><BR>Troisième arrêt. Mais tous doivent savoir
se dit A. Si donc, ils s'arrêtent...<BR><BR>Et la certitude est vérifiée en trois <I>scansions suspensive.
# Cf. la condition de ce moins un dans l'attribut avec la fonction psychanalytique
de l'Un-en-plus dans le sujet de la [[psychanalyse]], p. 480 de ce recueil
(Les écrits).
# Que le lecteur qui poursuivra dans ce recueil, revienne à cette référence au collectif qui est la fin de cet article, pour en [[situer ]] ce que [[Freud ]] a produit sous le registre de la [[psychologie ]] collective <I>(Massen : Psychologie und Ichana1yse,</I>1920) : le collectif n'est rien, que le sujet de
l'individuel.