24,656
edits
Changes
no edit summary
1945-03-00.htm
<CENTER><I><FONT SIZE=+2>Le temps logique et l'assertion</FONT></I></CENTER>
<CENTER><I><FONT SIZE=+2>de certitude anticipée</FONT></I></CENTER>
<CENTER><I><FONT SIZE=+1>Un nouveau sophisme</FONT></I></CENTER>
<CENTER><B><FONT SIZE=+1>Jacques Lacan</FONT></B></CENTER>
<DIR>
<DIR><FONT SIZE=-1> Il nous fut demandé en mars 1945<B> </B>par
Christian Zervos de contribuer avec un certain nombre d'écrivains
au numéro de reprise de sa revue, <I>les Cahiers d'Art, </I>conçu
au dessein de combler du palmarès de son sommaire, une parenthèse
de chiffres sur sa couverture : 1940-1944, signifiante pour beaucoup de
gens.</FONT>
<BR><FONT SIZE=-1> Nous y allâmes de cet article, bien au fait
de ce que c'était le rendre introuvable aussitôt.</FONT>
<BR><FONT SIZE=-1> Puisse-t-il retentir d'une note juste entre l'avant
et l'après où nous le plaçons ici, même s'il
démontre que l'après faisait antichambre, pour que l'avant
pût prendre rang.</FONT></DIR>
</DIR>
<UL>
<H3>
<I>Un problème de logique.</I></H3>
Le directeur de la prison fait comparaître trois détenus de
choix et leur communique l'avis suivant :
<P><I>"Pour des raisons que je n'ai pas â vous rapporter maintenant,
messieurs, je dois libérer un d'entre vous. Pour décider
lequel, j'en remets le sort à une épreuve que vous allez
courir, s'il vous agrée.</I>
<P><I>"Vous êtes trois ici présents. Voici cinq disques qui
ne diffèrent que par leur couleur : trois sont blancs, et deux sont
noirs. Sans lui faire connaître duquel j'aurai fait choix, je vais
fixer â chacun de vous un de ces disques entre les deux épaules,
c'est-à-dire hors de la portée directe de son regard, toute
possibilité indirecte d'y atteindre par la vue étant également
exclue par l'absence ici d'aucun moyen de se mirer.</I>
<P><I>"Dès lors, tout loisir vous sera laissé de considérer
vos compagnons et les disques dont chacun d'eux se montrera porteur, sans
qu'il vous soit permis, bien entendu, de vous communiquer l'un à
l'autre le résultat de votre inspection. Ce qu'au reste votre intérêt
seul vous interdirait. Car c'est le premier à pouvoir en conclure
sa propre couleur qui doit bénéficier de la mesure libératoire
dont nous disposons.</I>
<P><I>"Encore faudra-t-il que sa conclusion soit fondée sur des
motifs de logique, et non seulement de probabilité. A cet effet,
il est convenu que, dès que l'un d'entre vous sera prêt à
en formuler une telle, il franchira cette porte afin que, pris à
part, il soit jugé sur sa réponse."</I>
<P>Ce propos accepté, on pare nos trois sujets chacun d'un disque
blanc, sans utiliser les noirs, dont on ne disposait, rappelons-le, qu'au
nombre de deux.
<P>Comment les sujets peuvent-ils résoudre le problème?
<BR>
<H3>
<B><I>La solution parfaite.</I></B></H3>
Après s'être considérés entre eux <I>un certain
temps</I>, les trois sujets font ensemble <I>quelques pas</I> qui les mènent
de front à franchir la porte. Séparément, chacun fournit
alors une réponse semblable qui s'exprime ainsi :
<P><I>"Je suis un blanc, et voici comment je le sais. Etant donné
que mes compagnons étaient des blancs, j'ai pense que, Si j'étais
un noir, chacun d'eux eût pu en inférer ceci : "Si j'étais
un noir moi aussi, l'autre, y devant reconnaître immédiatement
qu'il est un blanc, serait sorti aussitôt, donc je ne suis pas un
noir" Et tous deux seraient sortis ensemble, convaincus d'être des
blancs. S'ils n'en faisaient rien, c'est que j'étais un blanc comme
eux. Sur quoi, j'ai pris la porte, pour faire connaître ma conclusion."</I>
<P>C’est ainsi que tous trois sont sortis simultanément forts des
mêmes raisons de conclure.
<BR>
<H3>
<B><I>Valeur sophistique de cette solution.</I></B></H3>
Cette solution, qui se présente comme la plus parfaite que puisse
comporter le problème, peut-elle être atteinte à l'expérience?
Nous laissons à l’initiative de chacun le soin d'en décider.
<P>Non certes que nous allions à conseiller d'en faire l'épreuve
au naturel, encore que le progrès antinomique de notre époque
semble depuis quelque temps en mettre les conditions à la portée
d'un toujours plus grand nombre nous craignons, en effet, bien qu'il ne
soit ici prévu que des gagnants, que le fait ne s'écarte
trop de la théorie, et par ailleurs nous ne sommes pas de ces récents
philosophes pour qui la contrainte de quatre murs n'est qu'une faveur de
plus pour le fin du fin de la liberté humaine.
<P>Mais, pratiquée dans les conditions innocentes de la fiction,
l'expérience ne décevra pas, nous nous en portons garant,
ceux qui gardent quelque goût de s'étonner. Peut-être
s'avérera-t-elle pour le psychologue de quelque valeur scientifique,
du moins Si nous faisons foi à ce qui nous a paru s'en dégager,
pour l'avoir essayée sur divers groupes convenablement choisis d'intellectuels
qualifiés, d'une toute spéciale méconnaissance, chez
ces sujets, de la réalité d'autrui.
<P>Pour nous, nous ne voulons nous attacher ici qu'à la valeur logique
de la solution présentée. Elle nous apparaît en effet
comme un remarquable sophisme, au sens classique du mot, c'est-à-dire
comme un exemple significatif pour résoudre les formes d'une fonction
logique au moment historique où leur problème se présente
à l'examen philosophique. Les images sinistres du récit s'y
montreront certes contingentes. Mais, pour peu que notre sophisme n'apparaisse
pas sans répondre à quelque actualité de notre temps,
il n'est pas superflu qu'il en porte le signe en de telles images, et c'est
pourquoi nous lui en conservons le support, tel que l'hôte ingénieux
d'un soir l'apporta à notre réflexion.
<P>Nous nous mettons maintenant sous les auspices de celui qui parfois
se présente sous l'habit du philosophe, qu'il faut plus souvent
chercher ambigu dans les propos de l’humoriste, mais qu'on rencontre toujours
au secret de l'action du politique, le bon logicien, odieux au monde.
<BR>
<H3>
<B><I>Discussion du sophisme.</I></B></H3>
Tout sophisme se présente d'abord comme une erreur logique, et l'objection
à celui-ci trouve facilement son premier argument. On appelle A
le sujet réel qui vient conclure pour lui-même, B et C ceux
réfléchis sur la conduite desquels il établit sa déduction.
Si la conviction de B, nous dira-t-on, se fonde sur l'expectative de C,
l'assurance de celle-là doit logiquement se dissiper avec la levée
de celle-ci; réciproquement pour C par rapport à B; et tous
deux de rester dans l'indécision. Rien ne nécessite donc
leur départ dans le cas où A serait un noir. D'où
il résulte que A ne peut en déduire qu'il soit un blanc.
<P>A quoi il faut répliquer d'abord que toute cette cogitation de
B et de C leur est imputée <I>à faux</I>, puisque la situation
qui seule pourrait la motiver chez eux de voir un noir n'est pas la vraie,
et qu'il s'agit de savoir si, cette situation étant supposée,
son développement logique leur est imputé <I>à tort</I>.
Or il n'en est rien. Car, dans cette hypothèse, c'est le fait qu'aucun
des deux n'est <I>parti le premier</I> qui donne à chacun à
se penser comme blanc, et il est clair qu'il suffirait qu'ils hésitassent
un instant pour que chacun d'eux soit rassuré, sans doute possible,
dans sa conviction d’être un blanc. Car l'hésitation est exclue
logiquement pour quiconque verrait deux noirs. Mais elle est aussi exclue
réellement, dans cette première étape de la déduction,
car, personne ne se trouvant en présence d'un noir et d'un blanc,
il n'est question que personne sorte pour la raison qui s'en déduit.
<P>Mais l'objection se représente plus forte à la seconde
étape de la déduction de A. Car, Si c'est à bon droit
qu'il est venu à sa conclusion qu'il est un blanc, en posant que,
s'il était noir, les autres ne tarderaient pas à se savoir
blancs et devraient sortir, voici qu'il lui faut en revenir, aussitôt
l'a-t-il formée, puisque au moment d'être mû par elle,
il voit les autres s'ébranler avec lui.
<P>Avant d'y répondre, reposons bien les termes logiques du problème.
A désigne chacun des sujets en tant qu'il est lui-même sur
la sellette et se décide ou non à sur soi conclure. B et
C ce sont les deux autres en tant<B> </B>qu'objets du raisonnement de A.
Mais, Si celui-ci peut lui imputer correctement, nous venons de le montrer,
une cogitation en fait fausse, il ne saurait tenir compte que de leur comportement
réel.
<P>Si A, de voir B et C s'ébranler avec lui, revient à douter
d'être par eux vu noir, il suffit qu'il repose la question, en s'arrêtant,
pour la résoudre. Il les voit en effet s'arrêter aussi : car
chacun étant réellement dans la même situation que
lui, ou, pour mieux dire, chacun des sujets étant A en tant que
réel, c'est-à-dire en tant qu'il se décide ou non
à sur soi conclure, rencontre le même doute au même
moment que lui. Mais alors, quelque pensée que A impute à
B et à C, c'est à bon droit qu'il conclura à nouveau
d'être soi-même un blanc. Car il pose derechef - que, s'il
était un noir, B et C eussent dû <I>poursuivre</I>, - ou bien,
s'il admet qu'ils hésitent, selon l'argument précédent
qui trouve ici l'appui du fait et les ferait douter s'ils ne sont pas eux-mêmes
des noirs, qu'à tout le moins devraient-ils <I>repartir avant lui</I>
(puisqu'en étant noir il donne à leur hésitation même
sa portée certaine pour qu'ils concluent d'être des blancs).
Et c'est parce que, de le voir en fait blanc, ils n'en font rien, qu'il
prend lui-même l’initiative de le faire, c'est-à-dire qu'ils
repartent tous ensemble, pour déclarer qu'ils sont des blancs.
<P>Mais l'on peut nous opposer encore qu'à lever ainsi l'obstacle
nous n'avons pas pour autant réfuté l'objection logique,
et qu'elle va se représenter la même avec la réitération
au mouvement et reproduire chez chacun des sujets le même doute et
le même arrêt.
<P>Assurément, mais il faut bien qu'il y ait eu un progrès
logique d'accompli. Pour la raison que cette fois A ne peut tirer de l'arrêt
commun qu'une conclusion sans équivoque. C'est que, s'il était
un noir, B et C n'eussent pas <I>dû s’arrêter, absolument</I>.
Car au point présent il est exclu qu'ils puissent hésiter
une seconde fois à conclure qu'ils sont des blancs : une seule hésitation,
en effet, est suffisante à ce que l'un à l'autre ils se démontrent
que certainement ni l'un ni l'autre ne sont des noirs. Si donc B et C se
sont arrêtés, A ne peut être qu'un blanc. C'est-à-dire
que les trois sujets sont cette fois confirmés dans une certitude,
qui ne permet ni à l'objection ni au doute de renaître.
<P>Le sophisme garde donc, à l’épreuve de la discussion toute
la<B> </B>rigueur contraignante d'un procès logique, à la
condition qu'on lui intègre la valeur des deux <I>scansions suspensives</I>,
que cette épreuve montre le vérifier dans l'acte même
où chacun des sujets manifeste qu'il l'a mené à sa
conclusion.
<BR>
<H3>
<B><I>Valeur des motions suspendues dans le procès.</I></B></H3>
Est-il justifié d'intégrer à la valeur du sophisme
les deux <I>motions suspendues</I> ainsi apparues? Pour en décider,
il faut examiner quel est leur rôle dans la solution du procès
logique.
<P>Elles ne jouent ce rôle, en effet, qu'après la conclusion
du procès logique, puisque l'acte qu'elles suspendent manifeste
cette conclusion même. On ne peut donc objecter de là qu'elles
apportent dans la solution un élément externe au procès
logique lui-même.
<P>Leur rôle, pour être crucial dans la pratique du procès
logique, n'est pas celui de l'expérience dans la vérification
d'une hypothèse, mais bien d'un fait intrinsèque à
l’ambiguïté logique.
<P>Du premier aspect en effet, les données du problème se
décomposeraient ainsi :
<P>1° trois combinaisons sont logiquement possibles des attributs caractéristiques
des sujets : deux noirs, un blanc, - un noir, deux blancs, - trois blancs.
La première étant exclue par l'observation de tous, une inconnue
reste ouverte entre les deux autres, que vient résoudre :
<P>2° la donnée d'expérience des motions suspendues,
qui équivaudrait à un signal par où les sujets se
communiqueraient l'un à l'autre, sous une forme déterminée
par les conditions de l'épreuve, ce qu'il leur est interdit d'échanger
sous une forme intentionnelle : savoir ce qu'ils voient l'un de l'attribut
de l'autre.
<P>Il n'en est rien, car ce serait là donner du procès logique
une conception spatialisée, celle-là même qui transparaît
chaque fois qu'il prend l'aspect de l'erreur et qui seule objecte à
la solubilité du problème.
<P>C'est justement parce que notre sophisme ne la tolère pas, qu'il
se présente comme une aporie pour les formes de la logique classique,
dont le prestige "éternel" reflète cette infirmité
non moins reconnue pour être la leur<A NAME="bknote1"></A><SUP><A HREF="#note1">[1]</A></SUP>
: à savoir qu'elles n'apportent jamais rien qui ne puisse déjà
<I>être vu d'un seul coup</I>.
<P>Tout au contraire, l'entrée en jeu comme signifiants des phénomènes
ici en litige fait-elle prévaloir la structure temporelle et non
pas spatiale du procès logique. Ce que les <I>motions suspendues</I>
dénoncent, ce n'est pas ce que les sujets voient, c'est ce qu'ils
ont trouvé positivement de <I>ce qu'ils ne voient pas :</I> à
savoir l'aspect des disques noirs. Ce par quoi elles sont signifiantes,
est constitué non pas par leur direction, mais par leur <I>temps
d'arrêt</I>. Leur valeur cruciale n'est pas celle d'un choix binaire
entre deux combinaisons juxtaposées dans l'inerte<A NAME="bknote2"></A><SUP><A HREF="#note2">[2]</A></SUP>,
et dépareillées par l'exclusion visuelle de la troisième,
mais du mouvement de vérification institué d'un procès
logique où le sujet a transformé les trois combinaisons possibles
en trois <I>temps de possibilité</I>.
<P>C'est pourquoi aussi, tandis qu'<I>un seul</I> signal devrait suffire
pour le seul choix qu'impose la première interprétation erronée,
<I>deux</I> scansions sont nécessaires pour la vérification
des deux laps qu'implique la seconde et seule valable.
<P>Loin d'être une donnée d'expérience externe dans
le procès logique, les <I>motions suspendues</I> y sont si nécessaires
que seule l'expérience peut y faire manquer le synchronisme qu'elles
impliquent de se produire d'un sujet de pure logique et faire échouer
leur fonction dans le procès de la vérification.
<P>Elles n'y représentent rien en effet que les paliers de dégradation
dont la nécessité fait apparaître l'ordre croissant
des instances du temps qui s'enregistrent dans le procès logique
pour s'intégrer dans sa conclusion.
<P>Comme on le voit dans la détermination logique des <I>temps d’arrêt</I>
qu'elles constituent, laquelle, objection du logicien ou doute du sujet,
se révèle à chaque fois comme le déroulement
subjectif d'une instance du temps, ou pour mieux dire, comme la fuite du
sujet dans une exigence formelle.
<P>Ces instances du temps, constituantes du procès du sophisme,
permettent d'y reconnaître un véritable mouvement logique.
Ce procès exige l'examen de la qualité de ses temps.
<BR>
<H3>
<B><I>La modulation du temps dans le mouvement du sophisme : l'instant
du regard, le temps pour comprendre et le moment de conclure.</I></B></H3>
Il s'isole dans le sophisme trois <I>moments de l'évidence</I>,
dont les valeurs logiques se révéleront différentes
et d'ordre croissant. En exposer la succession chronologique, c'est encore
les spatialiser selon un formalisme qui tend à réduire le
discours à un alignement de signes. Montrer que l'instance du temps
se présente sous un <I>mode</I> différent en chacun de ces
moments, c'est préserver leur hiérarchie en y révélant
une discontinuité tonale, essentielle à leur valeur. Mais
saisir dans la <I>modulation</I> du temps la fonction même par où
chacun de ces moments, dans le passage au suivant, s'y résorbe,
seul subsistant le dernier qui les absorbe; c'est restituer leur succession
réelle et comprendre vraiment leur genèse dans le mouvement
logique. C'est ce que nous allons tenter à partir d'une formulation,
aussi rigoureuse que possible, de ces moments de l'évidence.
<P> 1° <I>A être en face de deux noirs, on sait qu'on est
un blanc.</I>
<BR> C'est là une <I>exclusion logique</I> qui donne sa base
au mouvement. Qu'elle lui soit antérieure, qu'on la puisse tenir
pour acquise par les sujets <I>avec</I> les données du problème,
lesquelles interdisent la combinaison de trois noirs, est indépendant
de la contingence dramatique qui isole leur énoncé en prologue.
A l'exprimer sous la forme <I>deux noirs :: un blanc</I>, on voit la valeur
<I>instantanée</I> de son évidence, et son temps de fulguration,
si l'on peut dire, serait égal à zéro.
<BR> Mais sa formulation au départ déjà se module
: par la subjectivation qui s'y dessine, encore qu'impersonnelle sous la
forme de l' "on sait que...", et par la conjonction des propositions qui,
plutôt qu'elle n'est une hypothèse formelle, en représente
une matrice encore indéterminée, disons cette forme de conséquence
que les linguistes désignent sous les termes de la <I>prothase</I>
et de l'<I>apodose</I>: "A être..., <I>alors seulement</I> on sait
qu'on est... "
<BR> Une instance du temps creuse l'intervalle pour que le donné
de la <I>prothase</I>, "en face de deux noirs", se mue en la donnée
de l'<I>apodose</I>, "on est un blanc" : il y faut l'<I>instant du regard</I>.
Dans l'équivalence logique des deux termes "Deux noirs : un blanc",
cette modulation du temps introduit la forme qui, dans le second moment,
se cristallise en hypothèse authentique, car elle va viser la réelle
inconnue du problème, à savoir l'attribut ignoré du
sujet lui-même. Dans ce passage, le sujet rencontre la suivante combinaison
logique et, seul à pouvoir y assumer l'attribut du noir, vient,
dans la première phase du mouvement logique, à formuler ainsi
l'évidence suivante
<P> 2° <I>Si j'étais un noir, les deux blancs que je vois
ne tarderaient pas à se reconnaître pour être des blancs</I>.
<BR> C'est là une <I>intuition</I> par où le sujet
<I>objective</I> quelque chose de plus que les données de fait dont
l'aspect lui est offert dans les deux blancs; c'est un certain temps qui
se définit (aux deux sens de prendre son sens et de trouver sa limite)
par sa fin, à la fois but et terme, a savoir pour chacun des deux
blancs <I>le temps pour comprendre</I>, dans la situation de voir un blanc
et un noir, qu'il tient dans l'inertie de son semblable la clef de son
propre problème. L'évidence de ce moment suppose la durée
d'un <I>temps de méditation</I> que chacun des deux blancs doit
constater chez l'autre et que le sujet manifeste dans les termes qu'il
attache aux lèvres de l'un et de l'autre, comme s'ils étaient
inscrit sur une banderole : "<I>Si j'étais un noir, il serait sorti
sans attendre un instant, s'il reste a méditer, c'est que je suis
un blanc.</I>"
<BR> Mais, ce temps ainsi objectivé dans son sens, comment
mesurer sa limite? Le temps pour comprendre peut se réduire a l'instant
du regard, mais ce regard dans son instant peut inclure tout le temps qu'il
faut pour comprendre. Ainsi, l'objectivité de ce temps vacille avec
sa limite. Seul subsiste son sens avec la forme qu'il engendre de sujets
<I>indéfinis sauf par leur réciprocité</I>; et dont
l'action est suspendue par une causalité mutuelle à un temps
qui se dérobe sous le retour même de l'intuition qu'il a objectivée.
C'est par cette modulation du temps que s'ouvre, avec la seconde phase
du mouvement logique, la voie qui mène à l'évidence
suivante:
<P> 3° <I>Je me hâte de m'affirmer pour être un blanc,
pour que ces blancs, par moi ainsi considérés, ne me devancent
pas à se reconnaître pour ce qu'ils sont.</I>
<BR> C'est là l'<I>assertion sur soi</I>, par où le
sujet conclut le mouvement logique dans la décision d'un <I>jugement</I>.
Le retour même du mouvement de comprendre, sous lequel a vacillé
l'instance du temps qui le soutient objectivement, se poursuit chez le
sujet en une réflexion, où cette instance ressurgit pour
lui sous le mode subjectif d'un <I>temps de retard</I> sur les autres dans
ce mouvement même, et se présente logiquement comme l'urgence
du <I>moment de conclure</I>. Plus exactement, son évidence se révèle
dans la pénombre subjective, comme l'illumination croissante d'une
frange à la limite de l'éclipse que subit sous la réflexion
l'objectivité du <I>temps pour comprendre</I>.
<BR> Ce temps, en effet, pour que les deux blancs comprennent la
situation qui les met en présence d'un blanc et d'un noir, il apparaît
au sujet qu'il ne diffère pas logiquement du temps qu'il lui a fallu
pour la comprendre lui-même, puisque cette situation n'est autre
que sa propre hypothèse. Mais, si cette hypothèse est vraie,
les deux blancs voient réellement un noir, ils n'ont donc pas eu
à en supposer la donnée. Il en résulte donc que, Si
le cas est tel, les deux blancs le devancent du temps de battement qu'implique
à son détriment d'avoir eu à former cette hypothèse
même. C'est donc le <I>moment de conclure</I> qu'il est blanc; s'il
se laisse en effet devancer dans cette conclusion par ses semblables, il
<I>ne pourra plus reconnaître</I> s'il n'est pas un noir. Passé<I>
le temps pour comprendre le moment de conclure, c'est le moment de conclure
le temps pour comprendre</I>. Car autrement ce temps perdrait son sens.
Ce n'est donc pas en raison de quelque contingence dramatique, gravité
de l'enjeu, ou émulation du jeu, que le temps presse; c'est sous
l'urgence du mouvement logique que le sujet <I>précipite</I> à
la fois son jugement et son départ, le sens étymologique
du verbe, la tête en avant, donnant la modulation où la tension
du temps se renverse en la tendance à l'acte qui manifeste aux autres
que le sujet a conclu. Mais arrêtons-nous en ce point où le
sujet dans son assertion atteint une vérité qui va être
soumise à l'épreuve du doute, mais qu’il ne saurait vérifier
s'il ne l'atteignait pas d'abord dans la certitude. La <I>tension temporelle</I>
y culmine, puisque, nous le savons déjà, c'est le déroulement
de sa détente qui va scander l'épreuve de sa nécessité
logique. Quelle est la valeur logique de cette assertion conclusive? C'est
ce que nous allons tenter maintenant de mettre en valeur dans le mouvement
logique où elle se vérifie.
<BR>
<H3>
<I>La tension du temps dans l'assertion subjective et sa valeur manifestée
dans la démonstration du sophisme.</I></H3>
La valeur logique du troisième moment de l'évidence, qui
se formule dans l'assertion par où le sujet conclut son mouvement
logique, nous paraît digne d'être approfondie. Elle révèle
en effet une forme propre à une <I>logique assertive</I>, dont il
faut démontrer à quelles <I>relations</I> originales elle
s'applique.
<P>Progressant sur les relations propositionnelles des deux premiers moments,
<I>apodose</I> et <I>hypothèse</I>, la conjonction ici manifestée
se noue en une motivation de la conclusion, "<I>pour qu'il n’y ait pas</I>"
(de retard qui engendre l'erreur), où semble affleurer la forme
ontologique de l'angoisse, curieusement reflétée dans l'expression
grammaticale équivalente, "<I>de peur que</I>" (le retard n'engendre
l'erreur)...
<P>Sans doute cette forme est-elle en relation avec l'originalité
logique du sujet de l'assertion : en raison de quoi nous la caractérisons
comme <I>assertion subjective</I>, à savoir que le sujet logique
n'y est autre que la forme <I>personnelle</I> du sujet de la connaissance,
celui qui ne peut être exprimé que par "<I>je</I>". Autrement
dit, le jugement qui conclut le sophisme ne peut être porté
que par le sujet qui en a formé l'assertion sur soi, et ne peut
sans réserve lui être imputé par quelque autre, - au
contraire des relations du sujet <I>impersonnel</I> et du sujet <I>indéfini
réciproque</I> des deux premiers moments qui sont essentiellement
transitives, puisque le sujet personnel du mouvement logique les assume
à chacun de ces moments.
<P>La référence à ces deux sujets manifeste bien la
valeur logique du sujet de l'assertion. Le premier, qui s'exprime dans
l' "<I>on</I>" de l' "<I>on sait que...</I>", ne donne que la forme générale
du sujet noétique: il peut être aussi bien dieu, table ou
cuvette. Le second, qui s'exprime dans "<I>les deux blancs</I>" qui doivent
"<I>l'un l'autre se</I>" reconnaître, introduit la forme de <I>l'autre
en tant que tel</I>, c'est-à-dire comme pure réciprocité,
puisque l'un ne se reconnaît que dans l'autre et ne découvre
l'attribut qui est le sien que dans l'équivalence de leur temps
propre. Le "<I>je</I>", sujet de l'assertion conclusive, s'isole par un
<I>battement de temps</I> logique d'avec l'autre, c'est-à-dire d'avec
la relation de réciprocité. Ce mouvement de genèse
logique du "<I>je</I>" par une décantation de son temps logique
propre est assez parallèle à sa naissance psychologique.
De même que, pour le rappeler en effet, le "je" psychologique se
dégage d'un transitivisme spéculaire indéterminé,
par l'appoint d'une tendance éveillée comme jalousie, le
"<I>je</I>" dont il s'agit ici se définit par la subjectivation
d'une <I>concurrence</I> avec l'autre dans la fonction du temps logique.
Il nous parait comme tel donner la forme logique essentielle (bien plutôt
que la forme dite existentielle) du "<I>je</I>" psychologique<A NAME="bknote3"></A><SUP><A HREF="#note3">[3]</A></SUP>.
<P>Ce qui manifeste bien la valeur essentiellement subjective ("<I>assertive</I>"
dans notre terminologie) de la conclusion du sophisme, c'est l'indétermination
où sera tenu un observateur (le directeur de la prison qui surveille
le jeu, par exemple), devant le départ simultané des trois
sujets, pour affirmer d'aucun s'il a conclu juste quant à l'attribut
dont il est porteur. Le sujet, en effet, a saisi le moment de conclure
qu'il est un blanc sous l'évidence <I>subjective</I> d'un temps
de retard qui le presse vers la sortie, mais, s'il n'a pas saisi ce moment,
il n'en agit pas autrement sous l'évidence <I>objective</I> du départ
des autres, et du même pas qu'eux sort-il, seulement assuré
d'être un noir. Tout ce que l'observateur peut prévoir, c'est
que, s'il y a un sujet qui doit déclarer à l'enquête
être un noir pour s'être hâté à la suite
des deux autres, il sera seul à se déclarer tel en ces termes.
<P>Enfin, le jugement assertif se manifeste ici par un <I>acte</I>. <B>La
pensée moderne a montré que tout jugement est essentiellement
un acte</B>, et les contingences dramatiques ne font ici qu'isoler cet
acte dans le geste du départ des sujets. On pourrait imaginer d'autres
modes d'expression à l'acte de conclure Ce qui fait la singularité
de l'acte de conclure dans l'assertion subjective démontrée
par le sophisme c'est qu'il anticipe sur sa certitude en raison de la tension
temporelle dont il est chargé subjectivement et qu’à condition
de cette anticipation même, sa certitude se vérifie dans une
précipitation logique que détermine la décharge de
cette tension, pour qu'enfin la conclusion ne se fonde plus que sur des
instances temporelles toutes objectivées, et que l'assertion se
désubjective au plus bas degré. Comme le démontre
ce qui suit.
<P>D'abord reparaît le <I>temps objectif</I> de l'intuition initiale
du mouvement qui, comme aspiré entre l'instant de son début
et la hâte de sa lin, avait paru éclater comme une bulle.
Sous le coup du doute qui exfolie la certitude subjective du <I>moment
de conclure</I>, voici qu'il se condense comme un noyau dans l'intervalle
de la première <I>motion suspendue</I> et qu'il manifeste au sujet
sa limite dans le <I>temps pour comprendre</I> qu'est passé pour
les deux autres l'<I>instant du regard</I> et qu'est revenu le <I>moment
de conclure</I>.
<P>Assurément, si le doute, depuis Descartes, est intégré
à la valeur du jugement, il faut remarquer que, pour la forme d'assertion
ici étudiée, cette valeur tient moins au doute qui la suspend
qu'à la <I>certitude anticipée</I> qui l'a introduite.
<P>Mais, pour comprendre la fonction de ce doute quant au sujet de l'assertion,
voyons ce que vaut objectivement la première suspension pour l'observateur
que nous avons déjà intéressé à la motion
d'ensemble des sujets. Rien de plus que ceci c'est que chacun, s'il était
impossible jusque-là de juger dans quel sens il avait conclu, rnanifeste
une incertitude de sa conclusion, mais qu'il l'aura certainement confortée
si elle était correcte, rectifiée peut-être si elle
était erronée.
<P>Si, en effet, subjectivement, l'un quelconque a su prendre les devants
et s'il s'arrête, c'est qu'il s'est pris à douter s'il a bien
saisi le <I>moment de conclure</I> qu'il était un blanc, mais il
va le ressaisir aussitôt, puisque déjà il en a fait
l'expérience subjective. Si, au contraire, il a laissé les
autres le devancer et ainsi fonder en lui la conclusion qu'il est un noir,
il ne peut douter d'avoir bien saisi le moment de conclure, précisément
parce qu'il ne l'a pas <I>saisi subjectivement</I> (et en effet il pourrait
même trouver dans la nouvelle initiative des autres la confirmation
logique de ce qu'il se croit d'eux dissemblable). Mais, s'il s'arrête,
c'est qu'il subordonne sa propre conclusion si étroitement à
ce qui manifeste la conclusion des autres, qu'il la suspend aussitôt
quand ils paraissent suspendre la leur, donc qu'il met en doute qu'il soit
un noir, jusqu'à ce qu'ils lui montrent à nouveau la voie
ou que lui-même la découvre, selon quoi il conclura cette
fois d'être un noir, soit d'être un blanc : peut-être
faux, peut-être juste, point qui reste impénétrable
à tout autre qu'à lui-même.
<P>Mais la descente logique se poursuit vers le second temps de suspension.
Chacun des sujets, s'il a ressaisi la certitude subjective du <I>moment
de conclure</I>, peut à nouveau la mettre en doute. Mais elle est
maintenant soutenue par l'objectivation une fois faite du <I>temps pour
comprendre</I>, et sa mise en doute ne durera que l'<I>instant du regard</I>,
car le seul fait que l'hésitation apparue chez les autres soit la
seconde, suffit à lever la sienne, aussitôt qu'aperçue,
puisqu'elle lui indique irnmédiatement qu'il n'est certainement
pas un noir.
<P>Ici le temps subjectif du <I>moment de conclure</I> s'objective enfin.
Comme le prouve ceci que, même si l'un quelconque des sujets ne l'avait
pas saisi encore, il s'impose à lui pourtant maintenant; le sujet,
en effet, qui aurait conclu la première scansion en prenant la suite
des deux autres, convaincu par là d'être un noir, serait en
effet, de par la présente et seconde scansion, contraint de renverser
son jugement.
<P>Ainsi l'assertion de certitude du sophisme vient, dirons-nous, au terme
du rassemblement logique des deux motions suspendues dans l'acte où
elles s'achèvent, à <I>se désubjectiver au plus bas</I>.
Comme le manifeste ceci que notre observateur, s'il les a constatées
synchrones chez les trois sujets, ne peut douter d'aucun d'entre eux qu'il
ne doive à l'enquête se déclarer pour être un
blanc.
<P>Enfin, l'on peut remarquer qu’à ce même moment, si tout
sujet peut, à l'enquête, exprimer la certitude qu'il a enfin
vérifiée, par l'<I>assertion subjective</I> qui la lui a
donnée en conclusion du sophisme, à savoir en ces termes
: "<I>Je me suis hâté de conclure que j'étais un blanc,
parce qu'autrement ils devaient me devancer à se reconnaître
réciproquement pour des blancs (et que, si je leur en avais laissé
le temps, ils m'auraient, par cela même qui eût été
mon fait, plongé dans l'erreur)</I>", ce même sujet peut aussi
exprimer cette même certitude par sa <I>vérification désubjectivée</I>
au plus bas dans le mouvement logique, à savoir en ces termes :
"<I>On doit savoir qu'on est un blanc, quand les autres ont hésité
deux fois à sortir</I>." Conclusion qui, sous sa première
forme, peut être avancée comme véritable par le sujet,
dès qu'il a constitué le mouvement logique du sophisme,.
mais ne peut comme telle être assumée par ce sujet que personnellement,
- mais qui, sous sa seconde forme, exige que tous les sujets aient consommé
la descente logique qui vérifie le sophisme, mais est applicable
par quiconque à chacun d'entre eux. N'étant pas même
exclu que l'un des sujets, mais un seul, y parvienne, sans avoir constitué
le mouvement logique du sophisme et pour avoir seulement suivi sa vérification
manifestée chez les deux autres sujets.
<BR>
<H3>
<I>La vérité du sophisme comme référence temporalisée
de soi à l'autre : l'assertion subjective anticipante comme forme
fondamentale d'une logique collective.</I></H3>
Ainsi, la vérité du sophisme ne vient à être
vérifiée que de sa <I>présomption</I>, si l'on peut
dire, dans l'assertion qu'il constitue. Elle se révèle ainsi
dépendre d'une tendance qui la vise, notion qui serait un paradoxe
logique, si elle ne se réduisait à la tension temporelle
qui détermine le moment de conclure.
<P>La vérité se manifeste dans cette forme comme devançant
l'erreur et s'avançant seule dans l'acte qui engendre sa certitude;
inversement <B>l'erreur, comme se confirmant de son inertie</B>, et se
redressant mal à suivre l'initiative conquérante de la vérité.
<P>Mais à quelle sorte de relation répond une telle forme
logique? A une forme d'objectivation qu'elle engendre dans son mouvement,
c'est à savoir à la référence d'un "<I>je</I>"
à la commune mesure du sujet réciproque, ou encore : des
autres en tant que tels, soit en tant qu'ils sont autres les uns pour les
autres. Cette commune mesure est donnée par un certain <I>temps
pour comprendre</I>, qui se révèle comme une fonction essentielle
de la relation logique de réciprocité. Cette référence
du "<I>je</I>" aux autres en tant que tels doit, dans chaque moment critique,
être temporalisée, pour dialectiquement réduire le
<I>moment de conclure le temps pour comprendre</I> à durer aussi
peu que l'<I>instant du regard</I>.
<P>Il n'est que de faire apparaître au terme logique des <I>autres</I>
la moindre disparate pour qu'il s'en manifeste combien <B>la vérité
pour tous dépend de la rigueur de chacun</B>, et même que
la vérité, à être atteinte seulement par les
uns, peut engendrer, sinon confirmer, l'erreur chez les autres. Et encore
ceci que, si dans cette course à la vérité, on n'est
que seul, si l'on n'est tous, à toucher au vrai, aucun n'y touche
pourtant sinon par les autres.
<P>Assurément ces formes trouvent facilement leur application dans
la pratique à une table de bridge ou à une conférence
diplomatique, voire dans la manœuvre du "complexe" en pratique psychanalytique.
<P>Mais nous voudrions indiquer leur apport a la notion logique de collectivité.
<P><I>Tres faciunt collegium</I>, dit l'adage, et la <I>collectivité</I>
est déjà intégralement représentée dans
la forme du sophisme, puisqu'elle se définit comme un groupe formé
par les relations réciproques d'un nombre défini d'individus,
au contraire de la <I>généralité</I>, qui se définit
comme une classe comprenant abstraitement un nombre indéfini d'individus.
<P>Mais il suffit de développer par récurrence la démonstration
du sophisme pour voir qu'il peut s'appliquer logiquement a un nombre illimité
de sujets<A NAME="bknote4"></A><SUP><A HREF="#note4">[4]</A></SUP>, étant
posé que l'attribut "négatif" ne peut intervenir qu'en un
nombre égal au nombre des sujets moins un<A NAME="bknote5"></A><SUP><A HREF="#note5">[5]</A></SUP>.
Mais l'objectivation temporelle est plus difficile à concevoir à
mesure que la collectivité s'accroît, semblant faire obstacle
à une <I>logique collective</I> dont on puisse compléter
la logique classique.
<P>Nous montrerons pourtant quelle réponse une telle logique devrait
apporter à l'inadéquation qu'on ressent d'une affirmation
telle que "Je suis un homme", à quelque forme que ce soit de la
logique classique, qu'on la rapporte en conclusion de telles prémisses
que l'on voudra. ("<I>L'homme est un animal raisonnable</I>"..., etc.)
<P>Assurément plus près de sa valeur véritable apparaît-elle
présentée en conclusion de la forme ici démontrée
de l'assertion subjective anticipante, à savoir comme suit :
<P> 1° Un homme sait ce qui n'est pas un homme;
<P> 2° Les hommes se reconnaissent entre eux pour être
des hommes;
<P> 3° Je m'affirme être un homme, de peur d'être
convaincu par les hommes de n'être pas un homme.
<P>Mouvement qui donne la forme logique de toute assimilation "humaine",
en tant précisément qu'elle se pose comme assimilatrice d'une
barbarie, et qui pourtant réserve la détermination essentielle
du "<I>je</I>"…<A NAME="bknote6"></A><SUP><A HREF="#note6">[6]</A></SUP>.
<BR><FONT SIZE=-1> </FONT></UL>
<HR SIZE=3 NOSHADE WIDTH="100%">
<BR><FONT SIZE=-2> </FONT>
<BR><A NAME="note1"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote1">[1]</A> Et non
moins celle des esprits formés par cette tradition, comme en témoigne
le billet suivant que nous reçûmes d'un esprit pourtant aventureux
en d'autres domaines, après une soirée où la discussion
de notre fécond sophisme avait provoqué dans les esprits
choisis d'un collège intime une véritable panique confusionnelle.
Encore, malgré ses premiers mots, ce billet porte-t-il les traces
d'une laborieuse mise au point.</FONT>
<P><FONT SIZE=-1> "Mon cher Lacan, ce mot en hâte pour diriger
votre réflexion sur une nouvelle difficulté à vrai
dire, le raisonnement admis hier n'est pas concluant, car aucun des trois
états possibles : ooo – oo* - o** , n'est réductible à
l'autre (malgré les apparences) : il n'y a que le dernier qui soit
décisif.</FONT>
<BR><FONT SIZE=-1> "Conséquence: quand A se suppose noir,
ni B ni C ne peuvent sortir, car ils ne peuvent déduire de leur
comportement s'ils sont noirs ou blancs : car, si l'un est noir, l'autre
sort, et, s'il est blanc l'autre sort aussi, puisque le premier ne sort
pas (et réciproquement). Si A Se suppose blanc, ils ne peuvent non
plus sortir. De sorte que, là encore, A ne peut déduire du
comportement des autres la couleur de son disque."</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>Ainsi, notre contradicteur, pour trop bien <I>voir </I>le
cas, restait-il aveugle à ceci que ce n'est pas le départ
des autres, mais leur attente, qui détermine le jugement du sujet.
Et pour nous réfuter en effet avec quelque hâte, lassait-il
lui échapper ce que nous tentons de démontrer ici : la fonction
de la hâte en logique.</FONT>
<P><A NAME="note2"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote2">[2]</A> "Irréductibles",
comme s'exprime le contradicteur cité dans la note ci-dessus.</FONT>
<P><A NAME="note3"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote3">[3]</A> Ainsi le
"je", tierce forme du sujet de l'énonciation dans la logique, y
est encore la "première personne", mais aussi la seule et la dernière.
Car la deuxième personne grammaticale relève d'une autre
fonction du langage. Pour la troisième personne grammaticale, elle
n'est que prétendue c'est un démonstratif, également
applicable au champ de l'énoncé et à tout ce qui s'y
particularise.</FONT>
<P><A NAME="note4"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote4">[4]</A> En voici
l'exemple pour quatre sujets, quatre disques blanc, trois disques noirs.</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>A pense que, s'il était un noir, l'un quelconque
de B, C, D pourrait penser des deux autres que, si lui-même était
noir, ceux-ci ne tarderaient pas à savoir qu'ils sont des blancs.
L'un quelconque de B, C, D devrait donc en conclure rapidement qu'il est
lui-même blanc, ce qui n'apparaît pas. Lors A se rendant compte
que, s'ils le voient lui noir, B, C, D ont sur lui l'avantage de n'avoir
pas à en faire la supposition, se hâte de conclure qu'il est
un blanc.</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>Mais ne sortent-ils pas tous en même temps que lui?
A, dans le doute, s’arrête, et tous aussi. Mais, si tous aussi s’arrêtent,
qu'est-ce à dire? Ou bien c'est qu'ils s’arrêtent en proie
au même doute que A, et A peut reprendre sa course sans souci. Ou
bien c'est que A est noir, et que l'un quelconque de B, C, D est venu à
douter Si le départ des deux autres ne signifierait pas qu'il est
un noir, aussi bien à penser que, s'ils s’arrêtent, ce n'est
pas pour autant qu'il soit lui-même blanc, puisque l'un ou l'autre
peut encore douter un instant s'il n'est pas un noir; encore peut-il poser
qu'il devraient tous les deux repartir avant lui s'il est lui-même
un noir, et repartir lui-même de cette attente vaine, assuré
d'être ce qu'il est, c’est-à-dire blanc. Que B, C, D, donc
ne le font-ils? Car alors je le fais, dit A. Tous repartent alors.</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>Second arrêt. En admettant que je sois noir, se
dit A, l'un quelconque de B, C, D doit maintenant être fixé
sur ceci qu'il ne saurait imputer aux deux autres une nouvelle hésitation,
s'il était noir; qu'il est donc blanc. B, C, D doivent donc repartir
avant lui. Faute de quoi A repart, et tous avec<B> </B>lui.</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>Troisième arrêt. Mais tous doivent savoir
dès lors qu'ils sont des blancs, si j'étais vraiment noir,
se dit A. Si donc, ils s'arrêtent...</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>Et la certitude est vérifiée en trois <I>scansions
suspensive.</I></FONT>
<P><A NAME="note5"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote5">[5]</A> Cf. la
condition de ce moins un dans l'attribut avec la fonction psychanalytique
de l'Un-en-plus dans le sujet de la psychanalyse, p. 480 de ce recueil
(Les écrits).</FONT>
<P><A NAME="note6"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote6">[6]</A> Que le
lecteur qui poursuivra dans ce recueil, revienne à cette référence
au collectif qui est la fin de cet article, pour en situer ce que Freud
a produit sous le registre de la psychologie collective <I>(Massen : PsychoIogie
und Ichana1yse, </I>1920<B>) : le collectif n'est rien, que le sujet de
l'individuel.</B></FONT>
<CENTER><I><FONT SIZE=+2>Le temps logique et l'assertion</FONT></I></CENTER>
<CENTER><I><FONT SIZE=+2>de certitude anticipée</FONT></I></CENTER>
<CENTER><I><FONT SIZE=+1>Un nouveau sophisme</FONT></I></CENTER>
<CENTER><B><FONT SIZE=+1>Jacques Lacan</FONT></B></CENTER>
<DIR>
<DIR><FONT SIZE=-1> Il nous fut demandé en mars 1945<B> </B>par
Christian Zervos de contribuer avec un certain nombre d'écrivains
au numéro de reprise de sa revue, <I>les Cahiers d'Art, </I>conçu
au dessein de combler du palmarès de son sommaire, une parenthèse
de chiffres sur sa couverture : 1940-1944, signifiante pour beaucoup de
gens.</FONT>
<BR><FONT SIZE=-1> Nous y allâmes de cet article, bien au fait
de ce que c'était le rendre introuvable aussitôt.</FONT>
<BR><FONT SIZE=-1> Puisse-t-il retentir d'une note juste entre l'avant
et l'après où nous le plaçons ici, même s'il
démontre que l'après faisait antichambre, pour que l'avant
pût prendre rang.</FONT></DIR>
</DIR>
<UL>
<H3>
<I>Un problème de logique.</I></H3>
Le directeur de la prison fait comparaître trois détenus de
choix et leur communique l'avis suivant :
<P><I>"Pour des raisons que je n'ai pas â vous rapporter maintenant,
messieurs, je dois libérer un d'entre vous. Pour décider
lequel, j'en remets le sort à une épreuve que vous allez
courir, s'il vous agrée.</I>
<P><I>"Vous êtes trois ici présents. Voici cinq disques qui
ne diffèrent que par leur couleur : trois sont blancs, et deux sont
noirs. Sans lui faire connaître duquel j'aurai fait choix, je vais
fixer â chacun de vous un de ces disques entre les deux épaules,
c'est-à-dire hors de la portée directe de son regard, toute
possibilité indirecte d'y atteindre par la vue étant également
exclue par l'absence ici d'aucun moyen de se mirer.</I>
<P><I>"Dès lors, tout loisir vous sera laissé de considérer
vos compagnons et les disques dont chacun d'eux se montrera porteur, sans
qu'il vous soit permis, bien entendu, de vous communiquer l'un à
l'autre le résultat de votre inspection. Ce qu'au reste votre intérêt
seul vous interdirait. Car c'est le premier à pouvoir en conclure
sa propre couleur qui doit bénéficier de la mesure libératoire
dont nous disposons.</I>
<P><I>"Encore faudra-t-il que sa conclusion soit fondée sur des
motifs de logique, et non seulement de probabilité. A cet effet,
il est convenu que, dès que l'un d'entre vous sera prêt à
en formuler une telle, il franchira cette porte afin que, pris à
part, il soit jugé sur sa réponse."</I>
<P>Ce propos accepté, on pare nos trois sujets chacun d'un disque
blanc, sans utiliser les noirs, dont on ne disposait, rappelons-le, qu'au
nombre de deux.
<P>Comment les sujets peuvent-ils résoudre le problème?
<BR>
<H3>
<B><I>La solution parfaite.</I></B></H3>
Après s'être considérés entre eux <I>un certain
temps</I>, les trois sujets font ensemble <I>quelques pas</I> qui les mènent
de front à franchir la porte. Séparément, chacun fournit
alors une réponse semblable qui s'exprime ainsi :
<P><I>"Je suis un blanc, et voici comment je le sais. Etant donné
que mes compagnons étaient des blancs, j'ai pense que, Si j'étais
un noir, chacun d'eux eût pu en inférer ceci : "Si j'étais
un noir moi aussi, l'autre, y devant reconnaître immédiatement
qu'il est un blanc, serait sorti aussitôt, donc je ne suis pas un
noir" Et tous deux seraient sortis ensemble, convaincus d'être des
blancs. S'ils n'en faisaient rien, c'est que j'étais un blanc comme
eux. Sur quoi, j'ai pris la porte, pour faire connaître ma conclusion."</I>
<P>C’est ainsi que tous trois sont sortis simultanément forts des
mêmes raisons de conclure.
<BR>
<H3>
<B><I>Valeur sophistique de cette solution.</I></B></H3>
Cette solution, qui se présente comme la plus parfaite que puisse
comporter le problème, peut-elle être atteinte à l'expérience?
Nous laissons à l’initiative de chacun le soin d'en décider.
<P>Non certes que nous allions à conseiller d'en faire l'épreuve
au naturel, encore que le progrès antinomique de notre époque
semble depuis quelque temps en mettre les conditions à la portée
d'un toujours plus grand nombre nous craignons, en effet, bien qu'il ne
soit ici prévu que des gagnants, que le fait ne s'écarte
trop de la théorie, et par ailleurs nous ne sommes pas de ces récents
philosophes pour qui la contrainte de quatre murs n'est qu'une faveur de
plus pour le fin du fin de la liberté humaine.
<P>Mais, pratiquée dans les conditions innocentes de la fiction,
l'expérience ne décevra pas, nous nous en portons garant,
ceux qui gardent quelque goût de s'étonner. Peut-être
s'avérera-t-elle pour le psychologue de quelque valeur scientifique,
du moins Si nous faisons foi à ce qui nous a paru s'en dégager,
pour l'avoir essayée sur divers groupes convenablement choisis d'intellectuels
qualifiés, d'une toute spéciale méconnaissance, chez
ces sujets, de la réalité d'autrui.
<P>Pour nous, nous ne voulons nous attacher ici qu'à la valeur logique
de la solution présentée. Elle nous apparaît en effet
comme un remarquable sophisme, au sens classique du mot, c'est-à-dire
comme un exemple significatif pour résoudre les formes d'une fonction
logique au moment historique où leur problème se présente
à l'examen philosophique. Les images sinistres du récit s'y
montreront certes contingentes. Mais, pour peu que notre sophisme n'apparaisse
pas sans répondre à quelque actualité de notre temps,
il n'est pas superflu qu'il en porte le signe en de telles images, et c'est
pourquoi nous lui en conservons le support, tel que l'hôte ingénieux
d'un soir l'apporta à notre réflexion.
<P>Nous nous mettons maintenant sous les auspices de celui qui parfois
se présente sous l'habit du philosophe, qu'il faut plus souvent
chercher ambigu dans les propos de l’humoriste, mais qu'on rencontre toujours
au secret de l'action du politique, le bon logicien, odieux au monde.
<BR>
<H3>
<B><I>Discussion du sophisme.</I></B></H3>
Tout sophisme se présente d'abord comme une erreur logique, et l'objection
à celui-ci trouve facilement son premier argument. On appelle A
le sujet réel qui vient conclure pour lui-même, B et C ceux
réfléchis sur la conduite desquels il établit sa déduction.
Si la conviction de B, nous dira-t-on, se fonde sur l'expectative de C,
l'assurance de celle-là doit logiquement se dissiper avec la levée
de celle-ci; réciproquement pour C par rapport à B; et tous
deux de rester dans l'indécision. Rien ne nécessite donc
leur départ dans le cas où A serait un noir. D'où
il résulte que A ne peut en déduire qu'il soit un blanc.
<P>A quoi il faut répliquer d'abord que toute cette cogitation de
B et de C leur est imputée <I>à faux</I>, puisque la situation
qui seule pourrait la motiver chez eux de voir un noir n'est pas la vraie,
et qu'il s'agit de savoir si, cette situation étant supposée,
son développement logique leur est imputé <I>à tort</I>.
Or il n'en est rien. Car, dans cette hypothèse, c'est le fait qu'aucun
des deux n'est <I>parti le premier</I> qui donne à chacun à
se penser comme blanc, et il est clair qu'il suffirait qu'ils hésitassent
un instant pour que chacun d'eux soit rassuré, sans doute possible,
dans sa conviction d’être un blanc. Car l'hésitation est exclue
logiquement pour quiconque verrait deux noirs. Mais elle est aussi exclue
réellement, dans cette première étape de la déduction,
car, personne ne se trouvant en présence d'un noir et d'un blanc,
il n'est question que personne sorte pour la raison qui s'en déduit.
<P>Mais l'objection se représente plus forte à la seconde
étape de la déduction de A. Car, Si c'est à bon droit
qu'il est venu à sa conclusion qu'il est un blanc, en posant que,
s'il était noir, les autres ne tarderaient pas à se savoir
blancs et devraient sortir, voici qu'il lui faut en revenir, aussitôt
l'a-t-il formée, puisque au moment d'être mû par elle,
il voit les autres s'ébranler avec lui.
<P>Avant d'y répondre, reposons bien les termes logiques du problème.
A désigne chacun des sujets en tant qu'il est lui-même sur
la sellette et se décide ou non à sur soi conclure. B et
C ce sont les deux autres en tant<B> </B>qu'objets du raisonnement de A.
Mais, Si celui-ci peut lui imputer correctement, nous venons de le montrer,
une cogitation en fait fausse, il ne saurait tenir compte que de leur comportement
réel.
<P>Si A, de voir B et C s'ébranler avec lui, revient à douter
d'être par eux vu noir, il suffit qu'il repose la question, en s'arrêtant,
pour la résoudre. Il les voit en effet s'arrêter aussi : car
chacun étant réellement dans la même situation que
lui, ou, pour mieux dire, chacun des sujets étant A en tant que
réel, c'est-à-dire en tant qu'il se décide ou non
à sur soi conclure, rencontre le même doute au même
moment que lui. Mais alors, quelque pensée que A impute à
B et à C, c'est à bon droit qu'il conclura à nouveau
d'être soi-même un blanc. Car il pose derechef - que, s'il
était un noir, B et C eussent dû <I>poursuivre</I>, - ou bien,
s'il admet qu'ils hésitent, selon l'argument précédent
qui trouve ici l'appui du fait et les ferait douter s'ils ne sont pas eux-mêmes
des noirs, qu'à tout le moins devraient-ils <I>repartir avant lui</I>
(puisqu'en étant noir il donne à leur hésitation même
sa portée certaine pour qu'ils concluent d'être des blancs).
Et c'est parce que, de le voir en fait blanc, ils n'en font rien, qu'il
prend lui-même l’initiative de le faire, c'est-à-dire qu'ils
repartent tous ensemble, pour déclarer qu'ils sont des blancs.
<P>Mais l'on peut nous opposer encore qu'à lever ainsi l'obstacle
nous n'avons pas pour autant réfuté l'objection logique,
et qu'elle va se représenter la même avec la réitération
au mouvement et reproduire chez chacun des sujets le même doute et
le même arrêt.
<P>Assurément, mais il faut bien qu'il y ait eu un progrès
logique d'accompli. Pour la raison que cette fois A ne peut tirer de l'arrêt
commun qu'une conclusion sans équivoque. C'est que, s'il était
un noir, B et C n'eussent pas <I>dû s’arrêter, absolument</I>.
Car au point présent il est exclu qu'ils puissent hésiter
une seconde fois à conclure qu'ils sont des blancs : une seule hésitation,
en effet, est suffisante à ce que l'un à l'autre ils se démontrent
que certainement ni l'un ni l'autre ne sont des noirs. Si donc B et C se
sont arrêtés, A ne peut être qu'un blanc. C'est-à-dire
que les trois sujets sont cette fois confirmés dans une certitude,
qui ne permet ni à l'objection ni au doute de renaître.
<P>Le sophisme garde donc, à l’épreuve de la discussion toute
la<B> </B>rigueur contraignante d'un procès logique, à la
condition qu'on lui intègre la valeur des deux <I>scansions suspensives</I>,
que cette épreuve montre le vérifier dans l'acte même
où chacun des sujets manifeste qu'il l'a mené à sa
conclusion.
<BR>
<H3>
<B><I>Valeur des motions suspendues dans le procès.</I></B></H3>
Est-il justifié d'intégrer à la valeur du sophisme
les deux <I>motions suspendues</I> ainsi apparues? Pour en décider,
il faut examiner quel est leur rôle dans la solution du procès
logique.
<P>Elles ne jouent ce rôle, en effet, qu'après la conclusion
du procès logique, puisque l'acte qu'elles suspendent manifeste
cette conclusion même. On ne peut donc objecter de là qu'elles
apportent dans la solution un élément externe au procès
logique lui-même.
<P>Leur rôle, pour être crucial dans la pratique du procès
logique, n'est pas celui de l'expérience dans la vérification
d'une hypothèse, mais bien d'un fait intrinsèque à
l’ambiguïté logique.
<P>Du premier aspect en effet, les données du problème se
décomposeraient ainsi :
<P>1° trois combinaisons sont logiquement possibles des attributs caractéristiques
des sujets : deux noirs, un blanc, - un noir, deux blancs, - trois blancs.
La première étant exclue par l'observation de tous, une inconnue
reste ouverte entre les deux autres, que vient résoudre :
<P>2° la donnée d'expérience des motions suspendues,
qui équivaudrait à un signal par où les sujets se
communiqueraient l'un à l'autre, sous une forme déterminée
par les conditions de l'épreuve, ce qu'il leur est interdit d'échanger
sous une forme intentionnelle : savoir ce qu'ils voient l'un de l'attribut
de l'autre.
<P>Il n'en est rien, car ce serait là donner du procès logique
une conception spatialisée, celle-là même qui transparaît
chaque fois qu'il prend l'aspect de l'erreur et qui seule objecte à
la solubilité du problème.
<P>C'est justement parce que notre sophisme ne la tolère pas, qu'il
se présente comme une aporie pour les formes de la logique classique,
dont le prestige "éternel" reflète cette infirmité
non moins reconnue pour être la leur<A NAME="bknote1"></A><SUP><A HREF="#note1">[1]</A></SUP>
: à savoir qu'elles n'apportent jamais rien qui ne puisse déjà
<I>être vu d'un seul coup</I>.
<P>Tout au contraire, l'entrée en jeu comme signifiants des phénomènes
ici en litige fait-elle prévaloir la structure temporelle et non
pas spatiale du procès logique. Ce que les <I>motions suspendues</I>
dénoncent, ce n'est pas ce que les sujets voient, c'est ce qu'ils
ont trouvé positivement de <I>ce qu'ils ne voient pas :</I> à
savoir l'aspect des disques noirs. Ce par quoi elles sont signifiantes,
est constitué non pas par leur direction, mais par leur <I>temps
d'arrêt</I>. Leur valeur cruciale n'est pas celle d'un choix binaire
entre deux combinaisons juxtaposées dans l'inerte<A NAME="bknote2"></A><SUP><A HREF="#note2">[2]</A></SUP>,
et dépareillées par l'exclusion visuelle de la troisième,
mais du mouvement de vérification institué d'un procès
logique où le sujet a transformé les trois combinaisons possibles
en trois <I>temps de possibilité</I>.
<P>C'est pourquoi aussi, tandis qu'<I>un seul</I> signal devrait suffire
pour le seul choix qu'impose la première interprétation erronée,
<I>deux</I> scansions sont nécessaires pour la vérification
des deux laps qu'implique la seconde et seule valable.
<P>Loin d'être une donnée d'expérience externe dans
le procès logique, les <I>motions suspendues</I> y sont si nécessaires
que seule l'expérience peut y faire manquer le synchronisme qu'elles
impliquent de se produire d'un sujet de pure logique et faire échouer
leur fonction dans le procès de la vérification.
<P>Elles n'y représentent rien en effet que les paliers de dégradation
dont la nécessité fait apparaître l'ordre croissant
des instances du temps qui s'enregistrent dans le procès logique
pour s'intégrer dans sa conclusion.
<P>Comme on le voit dans la détermination logique des <I>temps d’arrêt</I>
qu'elles constituent, laquelle, objection du logicien ou doute du sujet,
se révèle à chaque fois comme le déroulement
subjectif d'une instance du temps, ou pour mieux dire, comme la fuite du
sujet dans une exigence formelle.
<P>Ces instances du temps, constituantes du procès du sophisme,
permettent d'y reconnaître un véritable mouvement logique.
Ce procès exige l'examen de la qualité de ses temps.
<BR>
<H3>
<B><I>La modulation du temps dans le mouvement du sophisme : l'instant
du regard, le temps pour comprendre et le moment de conclure.</I></B></H3>
Il s'isole dans le sophisme trois <I>moments de l'évidence</I>,
dont les valeurs logiques se révéleront différentes
et d'ordre croissant. En exposer la succession chronologique, c'est encore
les spatialiser selon un formalisme qui tend à réduire le
discours à un alignement de signes. Montrer que l'instance du temps
se présente sous un <I>mode</I> différent en chacun de ces
moments, c'est préserver leur hiérarchie en y révélant
une discontinuité tonale, essentielle à leur valeur. Mais
saisir dans la <I>modulation</I> du temps la fonction même par où
chacun de ces moments, dans le passage au suivant, s'y résorbe,
seul subsistant le dernier qui les absorbe; c'est restituer leur succession
réelle et comprendre vraiment leur genèse dans le mouvement
logique. C'est ce que nous allons tenter à partir d'une formulation,
aussi rigoureuse que possible, de ces moments de l'évidence.
<P> 1° <I>A être en face de deux noirs, on sait qu'on est
un blanc.</I>
<BR> C'est là une <I>exclusion logique</I> qui donne sa base
au mouvement. Qu'elle lui soit antérieure, qu'on la puisse tenir
pour acquise par les sujets <I>avec</I> les données du problème,
lesquelles interdisent la combinaison de trois noirs, est indépendant
de la contingence dramatique qui isole leur énoncé en prologue.
A l'exprimer sous la forme <I>deux noirs :: un blanc</I>, on voit la valeur
<I>instantanée</I> de son évidence, et son temps de fulguration,
si l'on peut dire, serait égal à zéro.
<BR> Mais sa formulation au départ déjà se module
: par la subjectivation qui s'y dessine, encore qu'impersonnelle sous la
forme de l' "on sait que...", et par la conjonction des propositions qui,
plutôt qu'elle n'est une hypothèse formelle, en représente
une matrice encore indéterminée, disons cette forme de conséquence
que les linguistes désignent sous les termes de la <I>prothase</I>
et de l'<I>apodose</I>: "A être..., <I>alors seulement</I> on sait
qu'on est... "
<BR> Une instance du temps creuse l'intervalle pour que le donné
de la <I>prothase</I>, "en face de deux noirs", se mue en la donnée
de l'<I>apodose</I>, "on est un blanc" : il y faut l'<I>instant du regard</I>.
Dans l'équivalence logique des deux termes "Deux noirs : un blanc",
cette modulation du temps introduit la forme qui, dans le second moment,
se cristallise en hypothèse authentique, car elle va viser la réelle
inconnue du problème, à savoir l'attribut ignoré du
sujet lui-même. Dans ce passage, le sujet rencontre la suivante combinaison
logique et, seul à pouvoir y assumer l'attribut du noir, vient,
dans la première phase du mouvement logique, à formuler ainsi
l'évidence suivante
<P> 2° <I>Si j'étais un noir, les deux blancs que je vois
ne tarderaient pas à se reconnaître pour être des blancs</I>.
<BR> C'est là une <I>intuition</I> par où le sujet
<I>objective</I> quelque chose de plus que les données de fait dont
l'aspect lui est offert dans les deux blancs; c'est un certain temps qui
se définit (aux deux sens de prendre son sens et de trouver sa limite)
par sa fin, à la fois but et terme, a savoir pour chacun des deux
blancs <I>le temps pour comprendre</I>, dans la situation de voir un blanc
et un noir, qu'il tient dans l'inertie de son semblable la clef de son
propre problème. L'évidence de ce moment suppose la durée
d'un <I>temps de méditation</I> que chacun des deux blancs doit
constater chez l'autre et que le sujet manifeste dans les termes qu'il
attache aux lèvres de l'un et de l'autre, comme s'ils étaient
inscrit sur une banderole : "<I>Si j'étais un noir, il serait sorti
sans attendre un instant, s'il reste a méditer, c'est que je suis
un blanc.</I>"
<BR> Mais, ce temps ainsi objectivé dans son sens, comment
mesurer sa limite? Le temps pour comprendre peut se réduire a l'instant
du regard, mais ce regard dans son instant peut inclure tout le temps qu'il
faut pour comprendre. Ainsi, l'objectivité de ce temps vacille avec
sa limite. Seul subsiste son sens avec la forme qu'il engendre de sujets
<I>indéfinis sauf par leur réciprocité</I>; et dont
l'action est suspendue par une causalité mutuelle à un temps
qui se dérobe sous le retour même de l'intuition qu'il a objectivée.
C'est par cette modulation du temps que s'ouvre, avec la seconde phase
du mouvement logique, la voie qui mène à l'évidence
suivante:
<P> 3° <I>Je me hâte de m'affirmer pour être un blanc,
pour que ces blancs, par moi ainsi considérés, ne me devancent
pas à se reconnaître pour ce qu'ils sont.</I>
<BR> C'est là l'<I>assertion sur soi</I>, par où le
sujet conclut le mouvement logique dans la décision d'un <I>jugement</I>.
Le retour même du mouvement de comprendre, sous lequel a vacillé
l'instance du temps qui le soutient objectivement, se poursuit chez le
sujet en une réflexion, où cette instance ressurgit pour
lui sous le mode subjectif d'un <I>temps de retard</I> sur les autres dans
ce mouvement même, et se présente logiquement comme l'urgence
du <I>moment de conclure</I>. Plus exactement, son évidence se révèle
dans la pénombre subjective, comme l'illumination croissante d'une
frange à la limite de l'éclipse que subit sous la réflexion
l'objectivité du <I>temps pour comprendre</I>.
<BR> Ce temps, en effet, pour que les deux blancs comprennent la
situation qui les met en présence d'un blanc et d'un noir, il apparaît
au sujet qu'il ne diffère pas logiquement du temps qu'il lui a fallu
pour la comprendre lui-même, puisque cette situation n'est autre
que sa propre hypothèse. Mais, si cette hypothèse est vraie,
les deux blancs voient réellement un noir, ils n'ont donc pas eu
à en supposer la donnée. Il en résulte donc que, Si
le cas est tel, les deux blancs le devancent du temps de battement qu'implique
à son détriment d'avoir eu à former cette hypothèse
même. C'est donc le <I>moment de conclure</I> qu'il est blanc; s'il
se laisse en effet devancer dans cette conclusion par ses semblables, il
<I>ne pourra plus reconnaître</I> s'il n'est pas un noir. Passé<I>
le temps pour comprendre le moment de conclure, c'est le moment de conclure
le temps pour comprendre</I>. Car autrement ce temps perdrait son sens.
Ce n'est donc pas en raison de quelque contingence dramatique, gravité
de l'enjeu, ou émulation du jeu, que le temps presse; c'est sous
l'urgence du mouvement logique que le sujet <I>précipite</I> à
la fois son jugement et son départ, le sens étymologique
du verbe, la tête en avant, donnant la modulation où la tension
du temps se renverse en la tendance à l'acte qui manifeste aux autres
que le sujet a conclu. Mais arrêtons-nous en ce point où le
sujet dans son assertion atteint une vérité qui va être
soumise à l'épreuve du doute, mais qu’il ne saurait vérifier
s'il ne l'atteignait pas d'abord dans la certitude. La <I>tension temporelle</I>
y culmine, puisque, nous le savons déjà, c'est le déroulement
de sa détente qui va scander l'épreuve de sa nécessité
logique. Quelle est la valeur logique de cette assertion conclusive? C'est
ce que nous allons tenter maintenant de mettre en valeur dans le mouvement
logique où elle se vérifie.
<BR>
<H3>
<I>La tension du temps dans l'assertion subjective et sa valeur manifestée
dans la démonstration du sophisme.</I></H3>
La valeur logique du troisième moment de l'évidence, qui
se formule dans l'assertion par où le sujet conclut son mouvement
logique, nous paraît digne d'être approfondie. Elle révèle
en effet une forme propre à une <I>logique assertive</I>, dont il
faut démontrer à quelles <I>relations</I> originales elle
s'applique.
<P>Progressant sur les relations propositionnelles des deux premiers moments,
<I>apodose</I> et <I>hypothèse</I>, la conjonction ici manifestée
se noue en une motivation de la conclusion, "<I>pour qu'il n’y ait pas</I>"
(de retard qui engendre l'erreur), où semble affleurer la forme
ontologique de l'angoisse, curieusement reflétée dans l'expression
grammaticale équivalente, "<I>de peur que</I>" (le retard n'engendre
l'erreur)...
<P>Sans doute cette forme est-elle en relation avec l'originalité
logique du sujet de l'assertion : en raison de quoi nous la caractérisons
comme <I>assertion subjective</I>, à savoir que le sujet logique
n'y est autre que la forme <I>personnelle</I> du sujet de la connaissance,
celui qui ne peut être exprimé que par "<I>je</I>". Autrement
dit, le jugement qui conclut le sophisme ne peut être porté
que par le sujet qui en a formé l'assertion sur soi, et ne peut
sans réserve lui être imputé par quelque autre, - au
contraire des relations du sujet <I>impersonnel</I> et du sujet <I>indéfini
réciproque</I> des deux premiers moments qui sont essentiellement
transitives, puisque le sujet personnel du mouvement logique les assume
à chacun de ces moments.
<P>La référence à ces deux sujets manifeste bien la
valeur logique du sujet de l'assertion. Le premier, qui s'exprime dans
l' "<I>on</I>" de l' "<I>on sait que...</I>", ne donne que la forme générale
du sujet noétique: il peut être aussi bien dieu, table ou
cuvette. Le second, qui s'exprime dans "<I>les deux blancs</I>" qui doivent
"<I>l'un l'autre se</I>" reconnaître, introduit la forme de <I>l'autre
en tant que tel</I>, c'est-à-dire comme pure réciprocité,
puisque l'un ne se reconnaît que dans l'autre et ne découvre
l'attribut qui est le sien que dans l'équivalence de leur temps
propre. Le "<I>je</I>", sujet de l'assertion conclusive, s'isole par un
<I>battement de temps</I> logique d'avec l'autre, c'est-à-dire d'avec
la relation de réciprocité. Ce mouvement de genèse
logique du "<I>je</I>" par une décantation de son temps logique
propre est assez parallèle à sa naissance psychologique.
De même que, pour le rappeler en effet, le "je" psychologique se
dégage d'un transitivisme spéculaire indéterminé,
par l'appoint d'une tendance éveillée comme jalousie, le
"<I>je</I>" dont il s'agit ici se définit par la subjectivation
d'une <I>concurrence</I> avec l'autre dans la fonction du temps logique.
Il nous parait comme tel donner la forme logique essentielle (bien plutôt
que la forme dite existentielle) du "<I>je</I>" psychologique<A NAME="bknote3"></A><SUP><A HREF="#note3">[3]</A></SUP>.
<P>Ce qui manifeste bien la valeur essentiellement subjective ("<I>assertive</I>"
dans notre terminologie) de la conclusion du sophisme, c'est l'indétermination
où sera tenu un observateur (le directeur de la prison qui surveille
le jeu, par exemple), devant le départ simultané des trois
sujets, pour affirmer d'aucun s'il a conclu juste quant à l'attribut
dont il est porteur. Le sujet, en effet, a saisi le moment de conclure
qu'il est un blanc sous l'évidence <I>subjective</I> d'un temps
de retard qui le presse vers la sortie, mais, s'il n'a pas saisi ce moment,
il n'en agit pas autrement sous l'évidence <I>objective</I> du départ
des autres, et du même pas qu'eux sort-il, seulement assuré
d'être un noir. Tout ce que l'observateur peut prévoir, c'est
que, s'il y a un sujet qui doit déclarer à l'enquête
être un noir pour s'être hâté à la suite
des deux autres, il sera seul à se déclarer tel en ces termes.
<P>Enfin, le jugement assertif se manifeste ici par un <I>acte</I>. <B>La
pensée moderne a montré que tout jugement est essentiellement
un acte</B>, et les contingences dramatiques ne font ici qu'isoler cet
acte dans le geste du départ des sujets. On pourrait imaginer d'autres
modes d'expression à l'acte de conclure Ce qui fait la singularité
de l'acte de conclure dans l'assertion subjective démontrée
par le sophisme c'est qu'il anticipe sur sa certitude en raison de la tension
temporelle dont il est chargé subjectivement et qu’à condition
de cette anticipation même, sa certitude se vérifie dans une
précipitation logique que détermine la décharge de
cette tension, pour qu'enfin la conclusion ne se fonde plus que sur des
instances temporelles toutes objectivées, et que l'assertion se
désubjective au plus bas degré. Comme le démontre
ce qui suit.
<P>D'abord reparaît le <I>temps objectif</I> de l'intuition initiale
du mouvement qui, comme aspiré entre l'instant de son début
et la hâte de sa lin, avait paru éclater comme une bulle.
Sous le coup du doute qui exfolie la certitude subjective du <I>moment
de conclure</I>, voici qu'il se condense comme un noyau dans l'intervalle
de la première <I>motion suspendue</I> et qu'il manifeste au sujet
sa limite dans le <I>temps pour comprendre</I> qu'est passé pour
les deux autres l'<I>instant du regard</I> et qu'est revenu le <I>moment
de conclure</I>.
<P>Assurément, si le doute, depuis Descartes, est intégré
à la valeur du jugement, il faut remarquer que, pour la forme d'assertion
ici étudiée, cette valeur tient moins au doute qui la suspend
qu'à la <I>certitude anticipée</I> qui l'a introduite.
<P>Mais, pour comprendre la fonction de ce doute quant au sujet de l'assertion,
voyons ce que vaut objectivement la première suspension pour l'observateur
que nous avons déjà intéressé à la motion
d'ensemble des sujets. Rien de plus que ceci c'est que chacun, s'il était
impossible jusque-là de juger dans quel sens il avait conclu, rnanifeste
une incertitude de sa conclusion, mais qu'il l'aura certainement confortée
si elle était correcte, rectifiée peut-être si elle
était erronée.
<P>Si, en effet, subjectivement, l'un quelconque a su prendre les devants
et s'il s'arrête, c'est qu'il s'est pris à douter s'il a bien
saisi le <I>moment de conclure</I> qu'il était un blanc, mais il
va le ressaisir aussitôt, puisque déjà il en a fait
l'expérience subjective. Si, au contraire, il a laissé les
autres le devancer et ainsi fonder en lui la conclusion qu'il est un noir,
il ne peut douter d'avoir bien saisi le moment de conclure, précisément
parce qu'il ne l'a pas <I>saisi subjectivement</I> (et en effet il pourrait
même trouver dans la nouvelle initiative des autres la confirmation
logique de ce qu'il se croit d'eux dissemblable). Mais, s'il s'arrête,
c'est qu'il subordonne sa propre conclusion si étroitement à
ce qui manifeste la conclusion des autres, qu'il la suspend aussitôt
quand ils paraissent suspendre la leur, donc qu'il met en doute qu'il soit
un noir, jusqu'à ce qu'ils lui montrent à nouveau la voie
ou que lui-même la découvre, selon quoi il conclura cette
fois d'être un noir, soit d'être un blanc : peut-être
faux, peut-être juste, point qui reste impénétrable
à tout autre qu'à lui-même.
<P>Mais la descente logique se poursuit vers le second temps de suspension.
Chacun des sujets, s'il a ressaisi la certitude subjective du <I>moment
de conclure</I>, peut à nouveau la mettre en doute. Mais elle est
maintenant soutenue par l'objectivation une fois faite du <I>temps pour
comprendre</I>, et sa mise en doute ne durera que l'<I>instant du regard</I>,
car le seul fait que l'hésitation apparue chez les autres soit la
seconde, suffit à lever la sienne, aussitôt qu'aperçue,
puisqu'elle lui indique irnmédiatement qu'il n'est certainement
pas un noir.
<P>Ici le temps subjectif du <I>moment de conclure</I> s'objective enfin.
Comme le prouve ceci que, même si l'un quelconque des sujets ne l'avait
pas saisi encore, il s'impose à lui pourtant maintenant; le sujet,
en effet, qui aurait conclu la première scansion en prenant la suite
des deux autres, convaincu par là d'être un noir, serait en
effet, de par la présente et seconde scansion, contraint de renverser
son jugement.
<P>Ainsi l'assertion de certitude du sophisme vient, dirons-nous, au terme
du rassemblement logique des deux motions suspendues dans l'acte où
elles s'achèvent, à <I>se désubjectiver au plus bas</I>.
Comme le manifeste ceci que notre observateur, s'il les a constatées
synchrones chez les trois sujets, ne peut douter d'aucun d'entre eux qu'il
ne doive à l'enquête se déclarer pour être un
blanc.
<P>Enfin, l'on peut remarquer qu’à ce même moment, si tout
sujet peut, à l'enquête, exprimer la certitude qu'il a enfin
vérifiée, par l'<I>assertion subjective</I> qui la lui a
donnée en conclusion du sophisme, à savoir en ces termes
: "<I>Je me suis hâté de conclure que j'étais un blanc,
parce qu'autrement ils devaient me devancer à se reconnaître
réciproquement pour des blancs (et que, si je leur en avais laissé
le temps, ils m'auraient, par cela même qui eût été
mon fait, plongé dans l'erreur)</I>", ce même sujet peut aussi
exprimer cette même certitude par sa <I>vérification désubjectivée</I>
au plus bas dans le mouvement logique, à savoir en ces termes :
"<I>On doit savoir qu'on est un blanc, quand les autres ont hésité
deux fois à sortir</I>." Conclusion qui, sous sa première
forme, peut être avancée comme véritable par le sujet,
dès qu'il a constitué le mouvement logique du sophisme,.
mais ne peut comme telle être assumée par ce sujet que personnellement,
- mais qui, sous sa seconde forme, exige que tous les sujets aient consommé
la descente logique qui vérifie le sophisme, mais est applicable
par quiconque à chacun d'entre eux. N'étant pas même
exclu que l'un des sujets, mais un seul, y parvienne, sans avoir constitué
le mouvement logique du sophisme et pour avoir seulement suivi sa vérification
manifestée chez les deux autres sujets.
<BR>
<H3>
<I>La vérité du sophisme comme référence temporalisée
de soi à l'autre : l'assertion subjective anticipante comme forme
fondamentale d'une logique collective.</I></H3>
Ainsi, la vérité du sophisme ne vient à être
vérifiée que de sa <I>présomption</I>, si l'on peut
dire, dans l'assertion qu'il constitue. Elle se révèle ainsi
dépendre d'une tendance qui la vise, notion qui serait un paradoxe
logique, si elle ne se réduisait à la tension temporelle
qui détermine le moment de conclure.
<P>La vérité se manifeste dans cette forme comme devançant
l'erreur et s'avançant seule dans l'acte qui engendre sa certitude;
inversement <B>l'erreur, comme se confirmant de son inertie</B>, et se
redressant mal à suivre l'initiative conquérante de la vérité.
<P>Mais à quelle sorte de relation répond une telle forme
logique? A une forme d'objectivation qu'elle engendre dans son mouvement,
c'est à savoir à la référence d'un "<I>je</I>"
à la commune mesure du sujet réciproque, ou encore : des
autres en tant que tels, soit en tant qu'ils sont autres les uns pour les
autres. Cette commune mesure est donnée par un certain <I>temps
pour comprendre</I>, qui se révèle comme une fonction essentielle
de la relation logique de réciprocité. Cette référence
du "<I>je</I>" aux autres en tant que tels doit, dans chaque moment critique,
être temporalisée, pour dialectiquement réduire le
<I>moment de conclure le temps pour comprendre</I> à durer aussi
peu que l'<I>instant du regard</I>.
<P>Il n'est que de faire apparaître au terme logique des <I>autres</I>
la moindre disparate pour qu'il s'en manifeste combien <B>la vérité
pour tous dépend de la rigueur de chacun</B>, et même que
la vérité, à être atteinte seulement par les
uns, peut engendrer, sinon confirmer, l'erreur chez les autres. Et encore
ceci que, si dans cette course à la vérité, on n'est
que seul, si l'on n'est tous, à toucher au vrai, aucun n'y touche
pourtant sinon par les autres.
<P>Assurément ces formes trouvent facilement leur application dans
la pratique à une table de bridge ou à une conférence
diplomatique, voire dans la manœuvre du "complexe" en pratique psychanalytique.
<P>Mais nous voudrions indiquer leur apport a la notion logique de collectivité.
<P><I>Tres faciunt collegium</I>, dit l'adage, et la <I>collectivité</I>
est déjà intégralement représentée dans
la forme du sophisme, puisqu'elle se définit comme un groupe formé
par les relations réciproques d'un nombre défini d'individus,
au contraire de la <I>généralité</I>, qui se définit
comme une classe comprenant abstraitement un nombre indéfini d'individus.
<P>Mais il suffit de développer par récurrence la démonstration
du sophisme pour voir qu'il peut s'appliquer logiquement a un nombre illimité
de sujets<A NAME="bknote4"></A><SUP><A HREF="#note4">[4]</A></SUP>, étant
posé que l'attribut "négatif" ne peut intervenir qu'en un
nombre égal au nombre des sujets moins un<A NAME="bknote5"></A><SUP><A HREF="#note5">[5]</A></SUP>.
Mais l'objectivation temporelle est plus difficile à concevoir à
mesure que la collectivité s'accroît, semblant faire obstacle
à une <I>logique collective</I> dont on puisse compléter
la logique classique.
<P>Nous montrerons pourtant quelle réponse une telle logique devrait
apporter à l'inadéquation qu'on ressent d'une affirmation
telle que "Je suis un homme", à quelque forme que ce soit de la
logique classique, qu'on la rapporte en conclusion de telles prémisses
que l'on voudra. ("<I>L'homme est un animal raisonnable</I>"..., etc.)
<P>Assurément plus près de sa valeur véritable apparaît-elle
présentée en conclusion de la forme ici démontrée
de l'assertion subjective anticipante, à savoir comme suit :
<P> 1° Un homme sait ce qui n'est pas un homme;
<P> 2° Les hommes se reconnaissent entre eux pour être
des hommes;
<P> 3° Je m'affirme être un homme, de peur d'être
convaincu par les hommes de n'être pas un homme.
<P>Mouvement qui donne la forme logique de toute assimilation "humaine",
en tant précisément qu'elle se pose comme assimilatrice d'une
barbarie, et qui pourtant réserve la détermination essentielle
du "<I>je</I>"…<A NAME="bknote6"></A><SUP><A HREF="#note6">[6]</A></SUP>.
<BR><FONT SIZE=-1> </FONT></UL>
<HR SIZE=3 NOSHADE WIDTH="100%">
<BR><FONT SIZE=-2> </FONT>
<BR><A NAME="note1"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote1">[1]</A> Et non
moins celle des esprits formés par cette tradition, comme en témoigne
le billet suivant que nous reçûmes d'un esprit pourtant aventureux
en d'autres domaines, après une soirée où la discussion
de notre fécond sophisme avait provoqué dans les esprits
choisis d'un collège intime une véritable panique confusionnelle.
Encore, malgré ses premiers mots, ce billet porte-t-il les traces
d'une laborieuse mise au point.</FONT>
<P><FONT SIZE=-1> "Mon cher Lacan, ce mot en hâte pour diriger
votre réflexion sur une nouvelle difficulté à vrai
dire, le raisonnement admis hier n'est pas concluant, car aucun des trois
états possibles : ooo – oo* - o** , n'est réductible à
l'autre (malgré les apparences) : il n'y a que le dernier qui soit
décisif.</FONT>
<BR><FONT SIZE=-1> "Conséquence: quand A se suppose noir,
ni B ni C ne peuvent sortir, car ils ne peuvent déduire de leur
comportement s'ils sont noirs ou blancs : car, si l'un est noir, l'autre
sort, et, s'il est blanc l'autre sort aussi, puisque le premier ne sort
pas (et réciproquement). Si A Se suppose blanc, ils ne peuvent non
plus sortir. De sorte que, là encore, A ne peut déduire du
comportement des autres la couleur de son disque."</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>Ainsi, notre contradicteur, pour trop bien <I>voir </I>le
cas, restait-il aveugle à ceci que ce n'est pas le départ
des autres, mais leur attente, qui détermine le jugement du sujet.
Et pour nous réfuter en effet avec quelque hâte, lassait-il
lui échapper ce que nous tentons de démontrer ici : la fonction
de la hâte en logique.</FONT>
<P><A NAME="note2"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote2">[2]</A> "Irréductibles",
comme s'exprime le contradicteur cité dans la note ci-dessus.</FONT>
<P><A NAME="note3"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote3">[3]</A> Ainsi le
"je", tierce forme du sujet de l'énonciation dans la logique, y
est encore la "première personne", mais aussi la seule et la dernière.
Car la deuxième personne grammaticale relève d'une autre
fonction du langage. Pour la troisième personne grammaticale, elle
n'est que prétendue c'est un démonstratif, également
applicable au champ de l'énoncé et à tout ce qui s'y
particularise.</FONT>
<P><A NAME="note4"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote4">[4]</A> En voici
l'exemple pour quatre sujets, quatre disques blanc, trois disques noirs.</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>A pense que, s'il était un noir, l'un quelconque
de B, C, D pourrait penser des deux autres que, si lui-même était
noir, ceux-ci ne tarderaient pas à savoir qu'ils sont des blancs.
L'un quelconque de B, C, D devrait donc en conclure rapidement qu'il est
lui-même blanc, ce qui n'apparaît pas. Lors A se rendant compte
que, s'ils le voient lui noir, B, C, D ont sur lui l'avantage de n'avoir
pas à en faire la supposition, se hâte de conclure qu'il est
un blanc.</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>Mais ne sortent-ils pas tous en même temps que lui?
A, dans le doute, s’arrête, et tous aussi. Mais, si tous aussi s’arrêtent,
qu'est-ce à dire? Ou bien c'est qu'ils s’arrêtent en proie
au même doute que A, et A peut reprendre sa course sans souci. Ou
bien c'est que A est noir, et que l'un quelconque de B, C, D est venu à
douter Si le départ des deux autres ne signifierait pas qu'il est
un noir, aussi bien à penser que, s'ils s’arrêtent, ce n'est
pas pour autant qu'il soit lui-même blanc, puisque l'un ou l'autre
peut encore douter un instant s'il n'est pas un noir; encore peut-il poser
qu'il devraient tous les deux repartir avant lui s'il est lui-même
un noir, et repartir lui-même de cette attente vaine, assuré
d'être ce qu'il est, c’est-à-dire blanc. Que B, C, D, donc
ne le font-ils? Car alors je le fais, dit A. Tous repartent alors.</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>Second arrêt. En admettant que je sois noir, se
dit A, l'un quelconque de B, C, D doit maintenant être fixé
sur ceci qu'il ne saurait imputer aux deux autres une nouvelle hésitation,
s'il était noir; qu'il est donc blanc. B, C, D doivent donc repartir
avant lui. Faute de quoi A repart, et tous avec<B> </B>lui.</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>Troisième arrêt. Mais tous doivent savoir
dès lors qu'ils sont des blancs, si j'étais vraiment noir,
se dit A. Si donc, ils s'arrêtent...</FONT>
<P><FONT SIZE=-1>Et la certitude est vérifiée en trois <I>scansions
suspensive.</I></FONT>
<P><A NAME="note5"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote5">[5]</A> Cf. la
condition de ce moins un dans l'attribut avec la fonction psychanalytique
de l'Un-en-plus dans le sujet de la psychanalyse, p. 480 de ce recueil
(Les écrits).</FONT>
<P><A NAME="note6"></A><FONT SIZE=-1><A HREF="#bknote6">[6]</A> Que le
lecteur qui poursuivra dans ce recueil, revienne à cette référence
au collectif qui est la fin de cet article, pour en situer ce que Freud
a produit sous le registre de la psychologie collective <I>(Massen : PsychoIogie
und Ichana1yse, </I>1920<B>) : le collectif n'est rien, que le sujet de
l'individuel.</B></FONT>