Difference between revisions of "Yale University: 24th November 1975: ‘Kanzer Seminar’: Jacques Lacan"

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Universités nord-américaines. Paru dans Scilicet n° 6/7, 1975, pp. 7-31, sous le titre : « Yale University, Kanzer Seminar ».

(7)Ce n’est pas facile… It is not easy to
speak in a country which is perfectly strange for me. Vous voyez, j’essaye de me
faire entendre par chacun, quoique mon anglais soit plutôt élémentaire et bien
que je tente de l’améliorer – je tente de l’améliorer cette année de façon
un peu paradoxale par la lecture – par la lecture de Joyce (rires). Un de mes auditeurs, inspiré par
ma récente conférence (une conférence qui me fut demandée pour ouvrir le
congrès sur Joyce) – un auditeur de mon séminaire où les gens se pressent
en foule, à ma grande surprise comme à celle de chacun et, naturellement, je
n’y avais pas annoncé ma conférence sur Joyce – écrivit un article dans
une revue française où la littérature est particulièrement tortillée. Tordue,
comme ça. Mais parfois des choses paraissent dans cette revue qui font
sens – parfois beaucoup de sens – et en particulier ce qui fut avancé
par mon auditeur : il avança qu’après Joyce la langue anglaise n’existait
plus.

 
Évidemment, ce n’est pas vrai puisque, jusqu’à Finnegan’s Wake, Joyce respecta ce que
Chomsky appelle la « structure grammaticale ». Mais, naturellement,
il en a fait voir de dures au mot anglais. Il alla jusqu’à injecter dans son
propre genre d’anglais des mots appartenant à un grand nombre d’autres langues,
y inclus le norvégien, et même certaines langues asiatiques ; il força les
mots de la langue anglaise en les contraignant à admettre d’autres vocables,
vocables qui ne sont pas du tout respectables, si je puis dire, pour quelqu’un
qui use de l’anglais.

 
On peut dire qu’en anglais il existe, dans l’ensemble, deux
sortes de vocables : ceux de racine latine et ceux dits germaniques, qui,
de fait, ne sont pas germaniques, mais appartiennent à une autre branche de
l’indo-européen : l’anglo-saxon.

 
C’est du côté saxon qu’on trouve les racines germaniques,
mais, (8)au terme, il y a quelque chose de spécifique à l’anglais à
étudier en tant que tel pour saisir ce qui le caractérise en opposition aux
autres langues.

 
Mais la chose importante, du moins telle que nous,
analystes, la concevons, est de dire la vérité. Et, comme nous avons de cette
vérité une idée un peu particulière, nous savons que c’est très difficile.

 
Et, comme il a été convenu que je parlerai le premier et
qu’il y aurait des questions ensuite, j’aimerais commencer par prendre ce qui
est justement appelé contact avec vous qui êtes là ce soir, en – pourquoi
pas ? – posant des questions moi-même. Naturellement, cela suppose
que vous voudrez bien répondre, fût-ce par une autre question.

 
Je voudrais d’abord adresser une question précisément à ceux
qui ont choisi de se poser comme psychanalystes, je voudrais leur demander, et
j’aurai nécessairement à répondre d’abord, comment ils en étaient venus à ce
qui peut après tout être raisonnablement appelé leur… job. Être un analyste est un job
et, de fait, un job très dur. C’est
même un travail inhabituellement fatigant et, si je reprends les mots du
dernier analyste que je vis avant cette visite aux États-Unis, il me confia
qu’il avait besoin de se reposer un peu entre chacune de ses analyses et que
cela donnait son rythme à son travail.

 
Quant à moi, pour vous dire la vérité, je n’ai pas le temps
de me reposer entre deux analyses. Cela parce que, du fait de ma notoriété,
beaucoup de gens viennent pour être analysés, pour me demander de les analyser.
Hier soir, dans la maison de Shoshana Felman, un groupe de jeunes gens m’a
demandé comment je choisissais mes patients. Je répondis que je ne les
choisissais pas comme ça tout droit, mais qu’ils avaient à témoigner de ce
qu’ils attendaient pour résultat de leur requête.

 
Maintenant, laissez-moi répondre à ma question :
comment suis-je devenu psychanalyste ? J’y suis venu sur le tard, pas
avant trente-cinq ans. J’avais commis ce qui est appelé en France une thèse de
doctorat en médecine. Ce n’était pas mon premier écrit, car une thèse a à être
réellement écrite. Une thèse est, par définition, ce qui a à être écrit et
défendu. En ce temps, une thèse était affaire sérieuse, par laquelle on
s’exposait à la contradiction.

 
(9)Aujourd’hui, on se présente devant un jury
composé habituellement de deux ou trois de ses anciens patrons, parfaitement
informés du sujet qu’ils vous ont le plus souvent suggéré. Ce n’était pas mon
cas. J’ai dû réellement imposer ma thèse. Je l’avais appelée – c’est pour
les psychiatres présents – De la
psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité. J’étais naïf
alors. Je croyais que la personnalité était chose aisée à saisir. Je n’oserais
plus donner ce titre à ce dont il était question car, de fait, je ne crois pas
que la psychose ait quelque chose à faire avec la personnalité. La psychose est
un essai de rigueur. En ce sens, je dirais que je suis psychotique. Je suis
psychotique pour la seule raison que j’ai toujours essayée d’être rigoureux.

 
Cela va évidemment assez loin puisque ça suppose que les
logiciens, par exemple, qui tendent vers ce but, les géomètres aussi, partageraient
en dernière analyse une certaine forme de psychose. Aujourd’hui, je pense comme
ça. Pour cette thèse, je ne l’avais pas entreprise imprudemment, j’avais
rassemblé trente-trois cas de psychose : dans aucun, je n’ai trouvé
d’exception à cette recherche de rigueur. Mais, comme on ne peut –
contrairement à la pratique commune, je pense qu’on ne le peut – parler de
trente-trois cas (ma thèse aurait eu des milliers de pages), je me suis
contenté d’écrire une thèse d’un nombre raisonnable de pages, je veux dire d’un
volume qui puisse être tenu en main, et j’y parle d’un de ces cas qui me
semblait exemplaire, nommément en ceci que la personne en question avait commis
de nombreux… écrits. Elle avait commis ces écrits sous la forme de nombreuses
lettres outrageantes pour un tas de gens, je veux dire qu’elle était érotomane.

 
Un certain nombre de gens ici savent, je pense, ce qu’est
une érotomane : l’érotomanie implique le choix d’une personne plus ou
moins célèbre et l’idée que cette personne n’est concernée que par vous. Il
serait nécessaire de trouver comment cette idée prend racine, quoique ce soit
impossible jusqu’à présent.

 
Ce qui est certain est que, une fois le mécanisme mis en
marche, chaque fait prouve que l’illustre personnage (dans ce cas une femme) est
en relation amoureuse, non avec la personnalité, mais avec la personne nommée,
désignée par un certain nom. À cette époque, cette personne avait son nom dans
les journaux à la suite du geste (10)qu’elle avait eu contre une
actrice alors célèbre, de façon cohérente avec son érotomanie dirigée sur cette
actrice – de même qu’elle avait été dirigée auparavant sur d’autres
célébrités (il n’est pas rare de voir opérer ce glissement d’une figure à une
autre). En tout cas, elle avait un peu blessé cette actrice et fut envoyée en
prison. Je me permis à moi-même d’être cohérent et pensai qu’une personne qui
savait toujours si bien ce qu’elle faisait savait aussi à quoi cela la
mènerait, et c’est un fait que son séjour en prison la calma. Du jour au
lendemain disparurent ses jusqu’ici rigoureuses élucubrations. Je me
permis – aussi psychotique que ma patiente – de prendre cela au
sérieux et de penser que, si la prison l’avait calmée, c’était là ce qu’elle
avait réellement recherché.

 
Aussi donnai-je à cela un nom plutôt bizarre : je
l’appelai « paranoïa d’autopunition ».

 
À l’évidence, c’était peut-être pousser la logique un peu
loin. Et cela me fit remarquer qu’il y avait chez Freud quelque chose du même
ordre.

 
Freud n’a pas principalement étudié les psychotiques. Mais il
a, comme moi, en fait, étudié les écrits d’un psychotique, le fameux président
Schreber. Et, à l’endroit du président Schreber, Freud n’adopte pas le même
type de position que moi. Il est vrai que c’était un cas de logique beaucoup
plus poussé. Mais je remarquai, à cause de ce qui fait le fond de sa pensée,
que Freud n’était pas psychotique. Il n’est pas psychotique, contrairement à
beaucoup, parce qu’il s’intéressait à quelque chose de différent. Son premier
intérêt était l’hystérie. Et sa voie d’approche de cette autre chose était
parfaitement sérieuse, consistant non pas à colliger des écrits – car les
cas qu’il traitait n’étaient pas gens à inonder d’écrits, contrairement aux
psychotiques –, mais à écouter. Il passait beaucoup de temps à écouter, et de
ce qu’il écoutait résultait quelque chose de paradoxal eu égard à ce que je
viens juste de dire, qui est une lecture.

 
Ce fut pendant qu’il écoutait les hystériques qu’il lut
qu’il y avait un inconscient.

 
C’est quelque chose qu’il pouvait seulement construire et
dans quoi il était lui-même impliqué ; il y était impliqué en ceci qu’à
son grand étonnement il remarquait qu’il ne pouvait éviter de participer à ce
que les hystériques lui racontaient, qu’il en était affecté.

 
(11)Naturellement, chaque chose dans les règles
résultantes par lesquelles il établit la pratique psychanalytique est conçue
pour contrer cette conséquence, pour conduire les choses de telle sorte qu’on
évite d’être affecté. À cette fin, il promut un certain nombre de règles qui
sont très saines, et qui impliquent la supposition que l’hystérique a ce qui
est appelé un inconscient. Et ce que j’ai essayé – je m’excuse d’abréger
comme ça – de faire est de reconnaître ce que cet inconscient postulé par
Freud pouvait bien être. Maintenant que les analystes sont si nombreux, chacun
peut savoir ce qu’est la lecture de l’inconscient car, après tout, depuis le
temps que les analystes ont émergé, les gens ont commencé à comprendre quelque
chose ; mais ce phénomène, pratiquement impensable, que tant de gens
viennent à l’analyse, soulève un réel problème. Non seulement ils viennent à
nous, mais ils y retournent. Qu’est-ce qui peut bien les induire à trouver une
telle satisfaction dans l’analyse, quand passer par l’analyse est une
expérience si inconfortable ? Chacun n’est pas capable de le faire. Il
faut en avoir une certaine dose, en avoir entendu assez sur elle pour savoir
qu’elle peut avoir certains effets – ces effets sur lesquels comptent
réellement les gens qui entreprennent une analyse, ceux que j’appelle les
analysants. Ils comptent sur ces effets particulièrement eu égard aux choses
qui embarrassent leur chemin, choses qui ont affaire avec… je ne dirai pas la
pensée, mais plutôt avec ce qui l’empêche de fonctionner logiquement, avec ce
qui la parasite (par exemple, une phobie, ou des obsessions, étudiées
maintenant de façon quasi exhaustive, telles que les implique cette forme très
spéciale de maladie mentale qui est précisément une névrose) ou, dans le cas
des hystériques, des choses qui se manifestent elles-mêmes par le corps.

 
Ces effets corporels, qui ont été diversement qualifiés,
constituent ce qu’on pense être la même chose que ce qu’on appelait autrefois
les stigmates, par lesquels on identifiait les soi-disant sorcières.

 
Il est vraiment curieux que les choses tournèrent de telle
sorte que Freud pût supposer que la cause de toutes ces névroses –
hystérie, phobie, obsessions – devait être cherchée dans ce qu’il appelait
l’inconscient.

 
Maintenant, dans notre expérience – je peux dire
« la nôtre » (12)puisqu’elle est assimilable –, que
voyons-nous, qu’entendons-nous quand nous entreprenons l’analyse d’une
névrose ?

 
Nous voyons, comme Freud nous le dit, les gens
irrésistiblement nous parler de leur maman et de leur papa. Alors que la seule
consigne que nous leur donnons est de dire simplement ce qu’ils… je ne dirais
pas ce qu’ils pensent, mais ce qu’ils croient penser car, en vérité, personne
ne pense et c’est pure illusion de penser qu’on pense, une illusion qui a été
la source d’un certain nombre de systèmes philosophiques.

 
Nous imaginons que nous pensons ; nous imaginons que
nous croyons ce que nous disons. Savoir et croyance sont des mots clés dans la
bouche des penseurs, logiciens et… psychotiques, en dernière analyse. La seule
chose que je ne puisse comprendre est comment ils peuvent parler de savoir et
de croyance, comme si le savoir pouvait être parfaitement authentifié, tandis
que la croyance serait simple hachis d’opinions. Comment pouvons-nous dire la
différence entre savoir et croyance ? Ils essayent de donner des critères…

 
Il y a un excellent écrivain, un logicien nommé Hintikka,
qui a écrit un livre ainsi intitulé dans lequel il poursuit avec intrépidité la
tentative de distinguer Knowledge and
Belief. Il croit profondément
qu’il y a une différence. Mais pourquoi ne voit-il pas que les trois quarts du
soi-disant savoir ne sont rien que croyance, il y a là quelque chose qui
m’amuse.

 
En tout cas, ce que nous entendons au cours d’une analyse
est un effort pour sortir de tout cela par un chemin qui n’a rien à faire ni
avec la connaissance ni avec la croyance – en sortir en disant seulement
ce qui est réellement dans son esprit.

 
Ce qui est là fantastique est que, lorsque les gens prennent
ce chemin, ils sont toujours ramenés à quelque chose qu’ils associent
essentiellement à la manière dont ils ont été élevés par leur famille. Les
premières hystériques de Freud étaient très préoccupées par leur père
tout ce qu’on a à faire est de lire la première percée, les Études sur l’hystérie, c’est tout à fait
remarquable. Ensuite, à cause de ces hystériques, Freud vint à s’intéresser aux
rêves, du fait qu’elles lui en parlèrent.

 
Essayons d’approcher ces choses correctement, c’est-à-dire
en prenant Freud au commencement, avant qu’il s’engage dans (13)la
métapsychologie. La métapsychologie implique la construction de quelque chose
qui présuppose l’hypothèse d’une âme – c’est ce que signifie méta-psychologie ; elle suppose la
psychologie comme un donné. Elle évoque la métaphysique, quelque chose qui
permettrait de considérer la psychologie de l’extérieur.

 
Avant que Freud parte dans cette direction, il avait écrit
trois livres : l’Interprétation des
rêves, la Psychopathologie de la vie
quotidienne et Le Mot d’esprit dans
ses relations à l’inconscient. Ce
qui m’a frappé quand j’ai lu ces trois livres est que la connaissance par Freud
des rêves fut restreinte au récit qui en était donné. On pourrait dire que le
rêve réel est ineffable et, dans de nombreux cas, il en est ainsi. Comment peut
être l’expérience réelle du rêve ? C’était l’une des objections faites à
Freud : elle manque de validité. Car c’est précisément sur le matériel du
récit lui-même – la manière dont le rêve est raconté – que Freud
travaille. Et, s’il fait une interprétation, c’est de la répétition, la fréquence,
le poids de certains mots. Si j’avais ici un exemplaire de La Science des rêves, je pourrais l’ouvrir à n’importe quelle page
et vous verriez que c’est toujours le récit du rêve comme tel – comme
matière verbale – qui sert de base à l’interprétation.

 
Dans la
Psychopathologie de la vie quotidienne, c’est exactement la même chose.
S’il n’y avait pas compte rendu du lapsus ou de l’acte manqué, il n’y aurait
pas interprétation.

 
L’exemple majeur est donné par le mot d’esprit dont la
qualité et le sentiment de satisfaction montré par le rieur – Freud
insiste là-dessus – viennent essentiellement du matériel linguistique.

 
Cela m’a fait affirmer, ce qui me semble évident, que
l’inconscient est structuré comme… (j’ai dit « est structuré comme »,
ce qui était peut-être exagérer un peu puisque présupposant l’existence d’une
structure – mais il est absolument vrai qu’il y a une structure)…
l’inconscient est structuré comme un langage. Avec une réserve : ce qui
crée la structure est la manière dont le langage émerge au départ chez un être
humain. C’est, en dernière analyse, ce qui nous permet de parler de structure.
Les langages ont quelque chose en commun – peut-être pas tous puisque nous
ne pouvons les connaître tous, il y a peut-être des exceptions – mais c’est
vrai des langages que nous rencontrons en traitant les sujets qui viennent chez
nous. Parfois ils ont gardé la mémoire d’un (14)premier langage,
différent de celui qu’ils ont fini par parler. De façon assez curieuse, Freud
remarque dans sa pratique qu’il pouvait en résulter une forme curieuse de
perversion – nommément le fétichisme – qui n’est pas ordinairement
causée par ce type d’ambiguïté. Mais je pense qu’il y a assez de gens ici qui
se souviennent du fameux Glanz auf der
Nase qui vint du fait qu’un germanophone avait gardé la mémoire de
l’expression anglaise to glance at the
nose. Freud combina cela avec d’autres faits qu’il avait rassemblés
concernant l’origine des fétiches, et qui est qu’ils impliquent plusieurs
significations à différentes étapes qui ramènent toutes à l’organe mâle. C’est
ainsi que Freud, après des années d’expérience, en vint à écrire les biens
connus Trois Essais sur la sexualité

dans la tentative de construire quelque chose qui serait scansion régulière du
développement pour chaque enfant.

 
Je crois que cette scansion elle-même est intimement liée à
certains patterns du langage. Je veux
dire que les soi-disant phases orale, anale et même urinaire sont trop
profondément mêlées à l’acquisition du langage, que l’apprentissage de la toilette
par exemple est manifestement ancrée dans la conception qu’a la mère de ce
qu’elle attend de l’enfant – nommément les excréments –, ce qui fait que,
fondamentalement, c’est autour du tout premier apprentissage de l’enfant que
tournent toutes les étapes de ce que Freud, avec son prodigieux insight, appelle sexualité. Il faut que
j’abrège un peu.

 
Je proposerai que ce qu’il y a de plus fondamental dans les
soi-disant relations sexuelles de l’être humain a affaire avec le langage, en
ce sens que ce n’est pas pour rien que nous appelons le langage dont nous usons
notre langue maternelle. C’est une vérité élémentaire de la psychanalyse que,
malgré l’idée d’instinct, il est très problématique qu’un homme soit d’aucune
façon intéressé par une femme s’il n’a eu une mère. C’est l’un des mystères de
la psychanalyse que le petit garçon soit immédiatement attiré par la mère,
tandis que la petite fille est dans un état de reproche, de dysharmonie avec
elle. J’ai assez d’expérience analytique pour savoir combien la relation
mère/fille peut être ravageante. Si Freud choisit d’accentuer cela, de bâtir
toute une construction là autour, ce n’est pas pour rien.

 
Maintenant que j’ai terminé cette plutôt longue
introduction, (15)j’aimerais revenir à la question que j’ai posée au
départ aux analystes ici, puisque ce n’est pas nécessairement de cette façon
particulière, atypique, qu’ils furent conduits à la psychanalyse. Je ne vous ai
même pas dit tout ce que j’ai parcouru avant de m’intéresser aux psychotiques
et avant qu’ils me mènent à Freud, ayant simplement souligné que, dans ma
thèse, je me trouvais appliquer le freudisme sans le savoir. Je ne vais pas
recommencer. Ça a été une sorte de glissade, du fait qu’à la fin de mes études
de médecine je fus amené à voir des fous et à en parler, et fus ainsi conduit à
Freud qui en parla dans un style qui, à moi aussi, s’est imposé du fait de mon
contact avec la maladie mentale.

 
Je ne pense pas qu’on puisse dire réellement que les
névrosés sont malades mentaux. Les névrosés sont ce que sont la plupart.
Heureusement ils ne sont pas psychotiques. Ce qui est appelé un symptôme
névrotique est simplement quelque chose qui leur permet de vivre. Ils vivent
une vie difficile et nous essayons d’alléger leur inconfort. Parfois nous leur
donnons le sentiment qu’ils sont normaux. Dieu merci, nous ne les rendons pas
assez normaux pour qu’ils finissent psychotiques. C’est le point où nous avons
à être très prudents. Certains d’entre eux ont réellement la vocation de
pousser les choses à leur limite.

 
Je m’excuse si ce que je dis semble – ce que ce n’est
pas – audacieux.

 
Je peux seulement témoigner de ce que ma pratique me
fournit. Une analyse n’a pas à être poussée trop loin. Quand l’analysant pense
qu’il est heureux de vivre, c’est assez.

 
Ainsi j’aimerais maintenant que quelqu’un me dise – et
je ne suis pas ici comme pierre de touche de la réponse, je veux dire, ce n’est
pas moi qui suis la pierre de touche – comment quelqu’un se décide à
s’autoriser comme psychanalyste aux USA.

 
Puisque j’ai cette occasion de rencontrer un certain nombre
de collègues, j’aimerais avoir une idée de ce qui correspond ici à ce que j’ai
institué dans mon école et que j’appelle « la passe ».

 
Ça consiste en ce que, au point où quelqu’un se considère
assez préparé pour oser être analyste, il puisse dire à quelqu’un de sa propre
génération, un pair – pas son maître ou un pseudo-maître – ce qui lui
a donné le nerf de recevoir des gens au nom de l’analyse.

 
(16)Vous devez admettre que la découverte de
l’inconscient est une chose très curieuse, la découverte d’une très spécialisée
sorte de savoir, intimement nouée avec le matériel du langage, qui colle à la
peau de chacun du fait qu’il est un être humain et à partir duquel on peut
expliquer ce qui est appelé, à tort ou à raison, son développement,
c’est-à-dire comment il a réussi à s’ajuster plus ou moins bien dans la
société.

 
Ce qui me frappe est à quel point nous ignorons comment nous
finissons par trouver notre place ici ou là – au pifomètre –, pourquoi
nous sommes aspirés par quelque chose.

 
Il est certain que je suis venu à la médecine parce que
j’avais le soupçon que les relations entre homme et femme jouaient un rôle
déterminant dans les symptômes des êtres humains. Cela m’a progressivement
poussé vers ceux qui n’y ont pas réussi, puisqu’on peut certainement dire que
la psychose est une sorte de faillite en ce qui concerne l’accomplissement de
ce qui est appelé « amour ».

 
Dans le domaine de l’amour, la patiente dont je vous parlais
pouvait sûrement en avoir gros contre la fatalité. Et je voudrais terminer avec
ce mot.

 
Dans le mot fatalité
fatum – il y a déjà une sorte de
préfiguration de la notion même d’inconscient. Fatum vient de fari, la
même racine que dans infans, qui
naturellement ne se rapporte pas, comme on le suppose communément, à quelqu’un
qui ne parle pas ; mais, à partir du moment où ses premiers mots ont
cristallisé – cristallisation matérielle de ce qui le conditionne comme
être humain –, on ne peut dire qu’il est infans.

 
Maintenant, si quelqu’un voulait bien me répondre, je
considérerais que je n’ai pas perdu mon temps puisque je l’invite à dire la
vérité. Comment y est-il venu, je ne vois pas pourquoi quelqu’un hésiterait à
le dire.

 
Vous pouvez dire simplement : j’appartiens à une
association psychanalytique car ça m’a semblé une belle situation et m’a donné
un travail pas désagréable puisqu’il intéresse tout le monde…

 
Mais le fin de la vérité, la vérité vraie, est qu’entre
homme et femme ça ne marche pas.

 
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(17)QUESTIONS ET RÉPONSES

 
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Le Modérateur,
Pr Geoffroy hartman – Vous êtes invités à poser des
questions.

 
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Jacques Lacan – Qui
commence à jaser ?

 
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Dr
Stanley Leavy – J’ai une question, Dr Lacan. Quand nous analysons,
nous essayons toujours de trouver les fantasmes inconscients.

 
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J. Lacan – J’ai
essayé de donner une formule du fantasme, mais je ne veux pas imposer ma façon
de l’écrire, ce soir.

 
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Dr
Leavy – Mais comment distinguez-vous le fantasme lui-même et les
mots utilisés pour le communiquer ? Est-ce que l’analyse s’accomplit par
l’étude – la lecture, si vous voulez – des seuls mots du fantasme, ou
peut-on supposer qu’il existe un fantasme sous ou derrière le langage ? Ou
bien pensez-vous que l’analyste doit s’abstenir de chercher quelque chose hors
du langage ?

 
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J. Lacan – L’analyste
opère en se laissant guider par les termes verbaux utilisé par la personne qui
parle. Si Freud recommande quelque chose, c’est, il le dit explicitement, de ne
pas se prémunir de quelque idée que ce soit ; vous pouvez rencontrer un
jour un cas totalement différent de tout ce que vous avez pu prévoir comme
classable. Suivez ce qui vient de la personne que vous êtes en train d’écouter.
Pourtant, ce qui est perturbant est que jamais, dans l’histoire de l’analyse,
n’est apparu un fantasme totalement original. Vous découvrez toujours les mêmes
vieilles choses. C’est assez pour vous conduire au désespoir. J’espère ne pas
terminer ma vie sans avoir trouvé une chose ou une autre que je pourrai laisser
à la postérité, quelque chose que j’aurai inventé. Mais jusqu’ici mon
inspiration est restée coite. Il est évident que je ploie sous la charge. Et,
comme je suis très vieux, je ne peux inventer un nouveau fantasme. C’est
quelque chose que toute l’analyse au monde, aussi souple soit-elle, ne peut
faire. Ce serait pourtant rendre un grand service car les névrosés sont gens
qui aspirent à une perversion qu’ils n’atteindront jamais. (18)Ce
serait secourable d’inventer quelque chose, mais on finit toujours par tourner
en rond. Par exemple, jusqu’où peut bien mener le fantasme de poignarder son
voisin, de l’envoyer à la mort, de mille coups ? Il a existé et a été
pratiqué depuis des temps immémoriaux, et évidemment il stimule l’imagination
de certains, mais chacun sait que ceux-ci ne sont jamais ceux qui le mettent
réellement en action. Pour le faire, il faut être effectivement établi quelque
part comme exécuteur patenté ; de telles choses sont faites seulement par
des gens qui sont payés pour ça.

 
En fait, la chose terrible est que l’analyse en elle-même
est actuellement une plaie : je veux dire qu’elle est elle-même un
symptôme social, la dernière forme de démence sociale qui ait été conçue.

 
Ça n’a pas été conçu pour rien : il arriva qu’à un
certain moment de l’histoire la médecine remarqua qu’elle ne pouvait tout
traiter, qu’elle avait à faire avec quelque chose de neuf.

 
L’analyse est réellement la queue de la médecine, la place
où elle peut trouver refuge, car dans d’autres aires elle est devenue
scientifique, chose qui intéresse le moins les gens.

 
À parler rigoureusement, la science n’émerge pas simplement
comme ça. Il faut réellement en mettre un coup. Mais, une fois qu’elle est
partie, il y a des écoles scientifiques. Ce qui intéresse la plupart des gens
dans un département scientifique, c’est la bonne place. Les personnes qui ont
réellement contribué de quelque façon à la science peuvent être comptées sur la
main, elles ont eu un prix Nobel. Tout le monde n’en est pas capable : la
plupart des gens usent de la science d’une façon très particulière et limitée.
Le curieux est que Freud pensait qu’il faisait de la science. Il ne faisait pas
de la science, il était en train de produire une certaine pratique qui peut
être caractérisée comme la dernière fleur de la médecine. Cette dernière fleur
trouva refuge ici parce que la médecine avait de si nombreux moyens d’opérer,
entièrement répertoriés à l’avance, réglés comme du papier à musique, qu’elle
devait se heurter au fait qu’il y avait des symptômes qui n’avaient rien à
faire avec le corps, mais seulement avec ceci que l’humain est affligé, si je
puis dire, du langage. Par ce langage dont il est affligé, il supplée à ce qui
est absolument incontournable : pas de rapport sexuel chez l’humain.

 
(19)La soi-disant fondamentale sexualité de Freud
consiste à remarquer que tout ce qui a affaire avec le sexe est toujours raté.
C’est la base et le principe de l’idée même de fiasco. Le ratage lui-même peut
être défini comme ce qui est sexuel dans tout acte humain. C’est pourquoi il y
a tant d’actes manqués. Freud a parfaitement indiqué qu’un acte manqué a
toujours affaire avec le sexe. L’acte manqué par excellence est précisément
l’acte sexuel. L’un des deux est toujours insatisfait. Il faut bien dire la
vérité après tout. Et c’est ce dont toujours les gens parlent.

 
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Mme

Turkell – Pourquoi dites-vous que Freud ne faisait pas de la
science quand votre propre intention, si je comprends correctement, est de
rendre à la psychanalyse son véritable objet, l’inconscient, précisément comme
l’objet d’une science ?

 
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J. Lacan – Je
crois que c’est déjà beaucoup que Freud ait inauguré un mode entièrement
nouveau de relations humaines – puisqu’il est évident que la chose
importante est ce qui se passe entre l’analysant et l’analyste. Si je l’ai
appelé plaie sociale, c’est parce que ce qui est social est toujours une plaie.

 
Mais pourquoi ai-je dit cela ? C’est parce que –
qu’essayais-je de faire ? de réussir, naturellement, je suis comme tout le
monde, naïf – j’imaginais que la linguistique était une science. Elle
aurait cette ambition. Elle essaie de faire comme si elle était une science.
Regardez seulement les esprits les plus sérieux en linguistique, Jakobson,
Chomsky – on m’a dit qu’il était sur une nouvelle piste maintenant, mais
Chomsky lui-même n’a pu trouver mieux que répéter la logique de Port-Royal. Il
l’a appelée cartésienne, mais c’est seulement la logique de Port-Royal, ça ne
va pas au-delà. La logique de Port-Royal pose déjà des questions très
sérieuses. Ce qu’ils appelaient logique est déjà une forme de linguistique. Il
suffit de l’ouvrir pour voir que ce dont elle traite est de cet ordre. Et si je
reconnais que l’inconscient ne peut d’aucune façon être abordé sans référence à
la linguistique, je considère que j’ai ajouté mon effort à la percée
freudienne. Mais c’est déjà beaucoup que Freud lui-même ait ouvert ce chemin,
donné l’axe et la pratique, montré que c’était désormais la seule médecine
réelle possible.

 
Qu’en est-il de l’historienne ici, de l’historienne de la
psychanalyse, est-ce vous ?

 
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(20)Lucille
Ritvo – Oui.

 
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J. Lacan – Vous
êtes historienne. Ajoutez-vous un nouveau chapitre à votre histoire de la
psychanalyse avec ce que je viens de dire ?

 
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L. Ritvo –
Vous voulez dire cette conférence ?

 
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J. Lacan – J’ai
dit expressément que la psychanalyse était un moment historique.

 
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L. Ritvo –
N’est-ce pas vrai pour chaque chose ?

 
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J. Lacan – La
psychanalyse a un poids dans l’histoire. S’il y a des choses qui appartiennent
à l’histoire, ce sont des choses de l’ordre de la psychanalyse.

 
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L. Ritvo –

Cela semble trop vague et général. Qu’est-ce que ça a à faire avec la
psychanalyse ?

 
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J. Lacan – Ce
qu’on appelle l’histoire est l’histoire des épidémies. L’empire romain, par
exemple, est une épidémie. Le christianisme est une épidémie.

 
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M. X. – La psychanalyse aussi.

 
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J. Lacan – La
psychanalyse aussi est une épidémie.

 
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Pr
Hartman – C’est contagieux…

 
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L. Ritvo –
L’histoire est concernée par tout ce que les gens sont disposés à payer
pour le trouver écrit comme histoire.

 
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J. Lacan – C’est
absolument vrai. C’est quelque chose qui existe au deuxième degré. Les gens
écrivent au sujet de ce qui a été écrit. C’est pourquoi les documents écrits
sont exigés. Vous ne pouvez faire de l’histoire qu’en écrivant de seconde main
sur ce qui est déjà écrit quelque part.

 
Sans le document écrit, vous savez que vous êtes dans un
rêve. Ce que l’historien exige est un texte : un texte ou un bout de
papier ; de toute façon, il doit y avoir quelque part, dans une archive,
quelque chose qui certifie, par l’écrit, et dont le défaut rend l’histoire
impossible… Ce qui ne peut être certifié par l’écrit ne peut être considéré
comme de l’histoire.

 
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L. Ritvo –
Je ne suis pas sûre que ça ait à être écrit pour être de l’histoire. Il
y a des traditions orales ; les gens qui n’ont pas l’écriture peuvent
aussi avoir une histoire, une tradition qu’ils se transmettent. Vous pouvez
aussi faire l’histoire en rassemblant des artefacts. En d’autres mots je
crois – je pourrais ne pas être sur un bon terrain – qu’en
archéologie et histoire de l’art, même (21)si on ne dispose pas de mots écrits sur papier,
on peut faire l’histoire.

 
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J. Lacan – L’art
oral se termine toujours par une forme écrite. L’historien en tant que tel
exige un document écrit ; il ne fait pas de l’histoire de l’art.
L’histoire de l’art est quelque chose de totalement imprécis. Pour que
l’histoire de l’art fasse sens, vous avez besoin d’une date : c’est
quelque chose qui a laissé une trace écrite. Quand fut construite la cathédrale
de Chartres ? Ce qui est proprement de l’ordre de l’histoire doit être
datable.

 
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Pr
Edward Casey – Quelle est la place de l’imaginaire en histoire ?
Croyez-vous que l’histoire est totalement symbolique pour reprendre vos propres
termes ?

 
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J. Lacan – C’est
une sorte particulière de symbolique ; un symbolique qui joint le réel par
l’écriture.

 
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Pr
Casey – Mais, serait-ce ainsi, il y a une grande proportion
d’imaginaire dans l’histoire. Les fables, par exemple, même si elles sont
écrites, sont…

 
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J. Lacan – Avec
les fables, la question est de savoir comment elles nous ont été transmises.
Elles nous sont transmises par l’écriture.

 
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Pr Casey –
Naturellement, mais elles contiennent, quoique écrites et mêlées à des
traditions précises, de l’imaginaire et du non datable.

 
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J. Lacan – Heureusement,
il y a des édifices qui ne se sont pas encore écroulés. Cela viendra, mais…

 
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Pr
Casey – Mais quel est le statut de ces édifices, sans base dans la
réalité et qui sont néanmoins écrits ?

 
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J. Lacan – En
réalité, ce n’est pas le statut de ces choses qui me concerne directement en
tant que psychanalyste.

 
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Pr
Casey – Naturellement.

 
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J. Lacan – Je
ne tente pas une philosophie de l’art. Je suis déjà trop occupé avec les
conséquences de ma pratique, qui est absolument punctiforme – c’est
seulement en un nombre limité de points spécifiques qu’elle touche le domaine
de l’art. Freud essaye de s’engager dans quelque chose d’autre et de voir dans
l’art une sorte de témoignage de l’inconscient.

 
Il s’y essaye en plusieurs occasions qui ne furent pas
toutes spécialement heureuses. Avec la
Gradiva de Jensen, ça ne marcha (22)pas. Car, après tout, rien
ne force l’artiste à admettre qu’il a un inconscient. C’est de la psychanalyse
sauvage. Toute interprétation, même celle du Moïse, est juste une conjecture. Nous ne pouvons en êtres sûrs car
nous n’avons pas moyen d’analyser la personne qui l’a sculpté.

 
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Pr
Casey – Il y a là néanmoins une analogie dans cette discussion
entre histoire et psychanalyse, en ce sens que dans les deux domaines se
rencontrent des choses qui sont imaginaires et non des événements réels.

 
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J. Lacan – Oui,
des reconstructions. Pour ces derniers, nous ne pouvons êtres sûrs de rien. Ce
qui ne nous empêche pas d’intervenir.

 
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Pr
Casey – Même si vous n’en êtes pas sûr, n’y a-t-il pas une
différence selon que ces événements ont réellement eu lieu ou non ?

 
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J. Lacan – Laissez-moi
vous dire : vous ne pouvez jamais être sûr qu’un souvenir n’est pas
souvenir-écran. C’est-à-dire un souvenir qui bloque le chemin de ce que je peux
repérer dans l’inconscient, c’est-à-dire la présence – la plaie – du
langage. Nous ne savons jamais ; un souvenir tel qu’il est imaginairement
revécu – ce qu’est un souvenir-écran – est toujours suspect. Une
image bloque toujours la vérité. J’use ici de termes que tout analyste connaît.
Le concept même de souvenir-écran montre la méfiance de l’analyste à l’égard de
tout ce que la mémoire pense qu’elle reproduit. Ce qu’on appelle, à strictement
parler, la mémoire est toujours suspect. Incidemment, c’est pourquoi Freud se
heurta au fameux trauma originel. Le cas de l’Homme aux loups est si long
seulement parce que Freud essaye désespérément de rendre quelque chose clair et
ne peut savoir si l’Homme aux loups ne rapporte, sur la copulation de ses
parents, qu’un souvenir-écran. Un trauma est toujours suspect.

 
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Pr Casey – Mais pas nécessairement
imaginaire tel que…

 
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J. Lacan – La
sexualité est toujours traumatique en tant que telle. La première sorte de
trauma est évidemment celle dont Freud donne le témoignage – après tout,
donnons tout leur poids aux Cinq
Psychanalyses. En quoi donc consiste la phobie du petit Hans ? Dans le
fait qu’il constate soudainement qu’il a un petit organe qui bouge. C’est
parfaitement clair. Et il veut lui donner un sens. Mais, aussi loin qu’aille ce
sens, aucun petit garçon (23)n’éprouve jamais que ce pénis lui soit
attaché naturellement. Il considère toujours le pénis comme traumatique. Je
veux dire qu’il pense qu’il appartient à l’extérieur du corps. C’est pourquoi
il le regarde comme une chose séparée, comme un cheval qui commence à se lever
et à ruer.

 
Que peut signifier la phobie du petit Hans si ce n’est qu’il
est en train de traduire l’original de l’histoire, le fait qu’il remarque qu’il
a un pénis ?

 
Il n’a pas encore réussi à le dompter avec des mots. Ces
mots, c’est l’analyste – c’est-à-dire son père (Freud ne s’occupe pas
encore de lui) – Freud le presse de dire les mots qui le calmeront. Et,
comme nous avons le propre témoignage de Hans – adulte, il vint aux
États-Unis –, ils réussirent parfaitement à le délivrer de sa fantaisie, de
sorte qu’il ne se souvint même plus avoir été le petit Hans.

 
Ce cas fut un succès, mais que signifie-t-il sinon que le
père, avec l’aide de Freud, réussit à empêcher que la découverte du pénis ait
des conséquences trop désastreuses ?

 
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Dr
Robert Lifton – Puis-je poser une question ? En revenant à
votre première assertion que toute l’histoire relèverait de la
psychanalyse – ce qui est parfaitement vrai, je pense –, il s’exerce un
effort considérable maintenant dans notre pays, et aussi en France, je crois,
pour associer de quelque façon psychanalyse et histoire, pour aborder
l’histoire avec l’insight psychanalytique,
et je crois qu’il y a là un dilemme fondamental concernant la façon dont on
aborde la symbolisation ; si on prend au sérieux ce que vous appelez le
symbolique, on le trouve en discordance avec le concept analytique classique de
formation symbolique, car le vôtre envisage la totalité du mentisme humain
comme pris dans ce procès symbolique de création et recréation, et, si on
aborde l’histoire, il devient de moins en moins satisfaisant.

 
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J. Lacan – C’est
absolument vrai.

 
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Dr
lifton – Aussi, dans ce dilemme sur la façon dont on use de l’insight psychanalytique pour aborder
l’histoire, ma propre visée est de m’écarter des concepts de défense et
d’instinct au profit de la continuité et discontinuité de la vie telle qu’elle
est symbolisée. Et je crois qu’on peut aborder…

 
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J. Lacan – Continuité
et discontinuité ?

 
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(24)Dr lifton – Ou ce qu’on
pourrait appeler mort et continuité. En d’autres mots, comment peut-on retenir…

 
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J. Lacan – C’est
votre tendance ? Alors je suis…comment vous appelez-vous ?

 
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Dr Lifton – Robert Lifton.

 
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J. Lacan – Je
suis liftonien (rires). Car je trouve
votre direction aussi valide que la mienne. J’en suis venu à prendre ma
direction à cause du chemin par lequel je suis arrivé à la psychanalyse, mais
je ne vois pas de raison pour laquelle il n’y aurait pas d’autre clé. Vous avez
seulement à voir ce qu’elle ouvre…

 
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L.Ritvo – Je
pense, en tant qu’historienne des sciences, que les gens ont toujours
pris – quels qu’ils soient – des découvertes scientifiques pour
tenter de les accorder à d’autres phénomènes que ceux qui les avaient
provoqués. La physique newtonienne, par exemple, a été la base de la
Constitution américaine. Je ne crois pas que Newton avait rêvé chose pareille.

 
Et je crois que plus vous vous éloignez du phénomène
pour lequel la théorie fut développée, moins elle est applicable. Aussi je
pense que ce que la psychanalyse et l’histoire ont en commun est l’être humain,
mais la psychanalyse le considère en tant qu’individu tel qu’il se révèle dans
une situation très particulière et c’est la responsabilité de quiconque désire
s’en servir dans un autre champ de tester et de voir si elle est applicable et
encore valide dans ce champ. Je ne crois pas qu’on puisse la prendre comme un
tout et attendre qu’elle s’accorde à une situation différente de celle dans
laquelle elle a été développée.

 
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J. Lacan – Vous
avez de l’histoire une conception ambitieuse… la même que celle des Pères de
l’Église. Les Pères de l’Église réinterprètent l’ensemble de l’histoire de
sorte qu’il devienne nécessaire que l’histoire engendre l’Église.

 
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Pr
hartman – Si l’Église est une théorie, quelque chose de comparable
à une théorie scientifique, le docteur Lacan dit que, d’après vous, toute
l’histoire aurait à être réinterprétée pour se montrer en accord avec cette
théorie.

 
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L. Ritvo –
Non, je disais qu’on ne peut appliquer une théorie scientifique dans son
ensemble à l’histoire.

 
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Pr
Hartman – Vous parliez du caractère transitoire de toute théorie
scientifique…

 
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(25)L. Ritvo –
Oui, une théorie scientifique est transitoire.

 
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Pr
Hartman – Une théorie scientifique se montre donc mortelle, à
l’intérieur d’une limite de temps…

 
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L. Ritvo –
C’est vrai, elle est valable pour un ensemble particulier
d’observations ; par exemple, la théorie de Newton est valable pour un
certain ensemble d’observations, au-delà convient la théorie d’Einstein et non
plus celle de Newton. Ainsi Newton est invalidé au-delà de ce point.

 
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J. Lacan – Oui.

 
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Pr
Hartman – Que disiez-vous au sujet de la psychanalyse, alors ?

 
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L.Ritvo – Je
disais que la psychanalyse ne peut être valide que dans le champ de ses
observations, qui est la situation analytique.

 
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J. Lacan – C’est
exactement ce que je dis. Nous n’avons pas moyen de savoir si l’inconscient
existe hors de la psychanalyse.

 
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L. Ritvo –
Je ne sais pas s’il n’y a pas moyen de le savoir ; je ne sais pas
si ça a déjà été essayé et si, en essayant, elle sera ou non valide pour des
domaines extérieurs.

 
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Pr
Louis Dupré – Ne pouvons-nous tirer, docteur, une conclusion de ce
que vous avez dit ? Dans le cas de nombreuses interprétations analytiques
dans l’art et la littérature, je me suis souvent demandé si l’interprète
n’avait pas réduit le symbole à un symptôme et ainsi opéré une simplification
qui ne répond plus à l’original.

 
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J. Lacan – Oui,
c’est ce que fait l’histoire de l’art.

 
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Pr
Dupré – Bien. Mais aussi certaines interprétations analytiques qui
tendent à…

 
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J. Lacan – Qui
sont toujours excessives…

 
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Pr
Dupré – Qui tendent à réduire le signifiant à un simple signifié…

 
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J. Lacan – Je
suis absolument d’accord…

 
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Pr Dupré –
… Réduit à un simple signe qui n’est plus un symbole. Et ainsi on
manque la vraie nature du signifiant comme tel.

 
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Le Modérateur,
Pr Hartman – Nous n’avons encore entendu aucun
psychanalyste reconnaître comment il ou elle s’autorise…

 
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Dr
Marshall Edelson – Pour revenir à la question : est-ce que la
linguistique est une science ? –, est-ce que la psychanalyse est une
science ? Dans l’Interprétation des
rêves, Freud dit à un endroit : « Nos idées nous mettent plus
près de la réalité inconnue ». Si la science est cet effort de se
rapprocher de la réalité inconnue, alors la linguistique, la psychanalyse sont
des sciences.

 
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Mme
Turkell – Mais quelle est votre définition de la science ?
C’est la question.

 
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Mme

Turkell – Est-ce cela qui donne cette importance pour vous aux
mathèmes en psychanalyse ?

 
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J. Lacan – Il
est certain que j’essaie de donner forme à quelque chose qui agirait comme
nucléus de la psychanalyse, de la même façon que ces petites lettres.

 
J’ai essayé d’écrire une certaine formule, que j’exprime du
mieux que je peux, avec un grand S qui représente le sujet et qui a à être
barré (S), puis un petit signe
(<>) et enfin un (a). Le tout
mis entre parenthèses. C’est une tentative pour imiter la science. Car je crois
que la science peut seulement commencer ainsi.

 
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Dr
Sydney Blatt – Mais n’est-ce pas impossible pour une science
psychologique ? Je m’inquiète de cette définition car j’affirmerais que la
psychanalyse et la psychologie des profondeurs ne pourront jamais la
satisfaire.

 
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Mme Y. –

Elle élimine aussi la biologie.

 
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Dr
Blatt – La question n’est pas que ce soit une science ou non, tout
dépend de la façon dont on définit la science ; la question est que la
différence est de discours. La différence de discours est qu’en psychanalyse,
en psycholinguistique et en d’autres domaines, l’homme tente de réfléchir sur
lui-même plutôt que (27)sur un objet extérieur. Cela exige un
ensemble différent de définitions, de moyens d’investigation. Que nous le
définissions science ou non n’est pas l’important. La question est que nous
puissions spécifier les différents domaines du discours.

 
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J. Lacan – C’est
exact.

 
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L’Interprète,
S. Felman – Alors que l’autre personne qui a parlé pensait qu’en
psychanalyse la mathématisation était un vœu impossible, qu’il ne serait jamais
possible de tout y mathématiser.

 
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J. Lacan – Je
n’ai pas dit tout mathématiser, mais commencer à en isoler un minimum
mathématisable.

 
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Dr
Blatt – En d’autres mots, il y a deux modèles dont l’un serait,
comme vous venez de dire, la tentative d’approcher une structure mathématique,
même de façon limitée. Mais l’autre modèle, que je crois davantage possible,
est d’ignorer cette exigence et, à la place, s’en tenir – car je crois
qu’il est important de s’en tenir à la science traditionnelle – au
sentiment d’évidence et à des principes ou concepts construits autour de
l’évidence d’une façon qui relève toujours de la tradition scientifique, mais
qui exige des critères différents pour la science du self, en tant qu’opposée à la science des objets extérieurs.

 
Est-ce que vous admettriez la possibilité d’un modèle
scientifique différent du vôtre ?

 
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J. Lacan – Oui,
je l’admettrais.

 
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L. Ritvo –
Les scientifiques se demandent même si la mathématique est une science
puisqu’elle n’a pas de faits, pas de champ d’observation. Elle est un outil
pour la science, mais les scientifiques ne sont pas sûrs que ce soit une
science.

 
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Pr
Felman – Mais tout dépend de la définition de ce qu’est la science.

 
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L. Ritvo –
C’est vrai. Sa définition omet la biologie, la géologie et, de fait,
tout le biologique…

 
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Pr Felman –
Vous tenez la science expérimentale pour modèle exclusif ?

 
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L. Ritvo –
Non, mais la science en un sens plus large est une approche pour évaluer
si vos formulations sont d’ordre spéculatif, hypothétique ou suffisamment
prouvées pour faire une théorie. Comme le disait Darwin : « Vous ne
pouvez nuire à la science (28)avec une fausse théorie, seulement
avec une falsification des faits ».

 
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J. Lacan – Mais
il est remarquable que l’observation soit seulement satisfaite quand elle
aboutit à une formule qui peut être appelée mathématique. L’observation seule
ne satisfait pas l’esprit, si ce mot veut dire quelque chose.

 
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L. Ritvo –
C’est une vue très limitée de la science. Elle omet une très grande part
de la science.

 
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Dr
Edelson – Puis-je évoquer quelque chose de spécifique concernant le
langage ? Comment puis-je dire des choses qui n’ont jamais été dites
auparavant ? Comment puis-je prononcer des phrases qui n’ont jamais été
dites par quelqu’un d’autre ? Des phrases qui ne me sont pas imposées par
mon milieu ? Elles viennent de l’intérieur. Elles s’accordent à mon
entourage, mais celui-ci ne me contraint pas à dire ce que je dis. J’ai le
choix. Je peux dire un tas de choses dans le même entourage.

 
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J. Lacan – Mais –
l’entourage est une réflexion…

 
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Dr
F. Edelson – Deux autres questions. Comment, lorsque j’entends deux
phrases et qu’elles ont la même structure, sais-je qu’elles signifient des
choses différentes ? Ou bien : j’entends deux phrases qui ont des
structures différentes et je sais qu’elles signifient la même chose ? En
essayant de répondre à ces questions, j’ai la théorie d’une structure
abstraite, l’esprit : ce qui relève de mon esprit me permet de faire ces
choses. Je peux avoir plus d’une théorie. Une théorie m’aidera à expliquer
mieux qu’une autre comment je suis capable de faire ces choses. En usant de
nouvelles voies pour envisager le monde, l’homme a eu besoin de nouveaux
concepts ; ce n’est pas moins scientifique. Si je suis dans un monde où
j’ai à comprendre les choses par des concepts tels que « règles » et
« signification », ce sont encore des concepts qui m’aident à
comprendre. Cela ne me fait pas a-scientifique. Freud parle du sens ou de la
signification des symptômes plutôt que de leur cause. C’est toujours la
question d’un scientifique.

 
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J. Lacan – C’est
précisément ce que Freud a introduit.

 
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Dr Edelson –
Nous sommes d’accord.

 
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J. Lacan – C’est
ce que Freud a introduit et c’est pourquoi je soulève la question de la lecture
que Freud fit de ce sens. Ce qui est amusant est que ça réussit. C’est ce qu’un
certain Reik appelait (29)« surprise » : la chose qui
nous surprend. Précisément parce que nous pensons que la science seule a
affaire avec le réel. Mais le réel, tel que nous en parlons, est complètement
dénué de sens. Nous pouvons être satisfait, être sûr que nous traitons quelque
chose de réel seulement quand il n’a plus quelque sens que ce soit. Il n’a pas
de sens parce que ce n’est pas avec des mots que nous écrivons le réel. C’est
avec de petites lettres.

 
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Dr Edelson –

Les constructions logiques que nous faisons pour comprendre la réalité
inconnue deviennent en leur temps réalité. Ce qui a été fiction logique en
physique est aujourd’hui réalité.

 
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J. Lacan – Les
constructions logiques, j’ai dit que je les considérais psychotiques…

 
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L’Interprète, Pr
Felman – Il fait une plaisanterie ; au commencement de son
exposé, il a dit qu’une construction parfaitement cohérente c’était ainsi qu’il
définissait la psychose.

 
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Dr
Edelson – Hum.

 
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Pr
Felman – C’était une assertion provocante.

 
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Dr
Edelson – Je suis provoqué.

 
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Pr
Felman – Mais il a dit alors qu’en ce sens il était psychotique
puisqu’il essayait d’être rigoureux. Aussi il n’est pas contre la rigueur, mais
il ne l’égale pas à la science. C’est, je crois, le point principal. La
cohérence en tant que telle serait seulement preuve de psychose et non de
vérité.

 
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J. Lacan – La
psychose est pleine de sens.

 
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Dr
Edelson – La psychose est appelée stéréotypie et est dépourvue de
sens dans mon expérience.

 
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J. Lacan – Mais
les stéréotypes ne tiennent pour le psychotique que pour leur sens.

 
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Dr
Blatt – Oui, mais c’est parce que le psychotique s’efforce de faire
sens – s’astreint à la fonction synthétique – pour rester en relation
avec le monde.

 
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Pr
Dupré – Mais pourquoi, docteur, insistez-vous tant sur la nécessité
de formules mathématiques pour définir la science ?

 
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J. Lacan – Parce
que c’est historiquement vrai.

 
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Pr
Dupré – Mais ça a commencé avec Descartes, en France, ça n’est pas…

 
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J. Lacan – Ça
a commencé avec Galilée.

 
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Pr
Dupré – D’accord, mais ajouter une centaine d’années ne fait (30)pas
beaucoup de différence. La mathématisation de la science est presque une
exception dans l’histoire de l’humanité, et c’est une exception que les
scientifiques, au moins, abandonnent. Nous n’y croyons plus. Aussi pourquoi
réduire la science de l’esprit – qui y échappa dès le départ – à un
point de vue qui n’existe plus même dans les sciences ? Il peut y avoir
d’autres modèles. Par exemple, toutes les sciences sociales, les sciences de
l’esprit, n’ont pas besoin de formules mathématiques pour s’exprimer
clairement. Les formules mathématiques sont en usage, mais plutôt comme
abréviation de ce qu’on pense, ou à des fins pédagogiques, même en économie
aujourd’hui.

 
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Dr
Edelson – La science mathématique n’est pas la quantité. La
mathématique est logique.

 
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J. Lacan – Oui,
ce n’est pas la quantité.

 
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Dr Edelson –
Si c’est la logique, si c’est la logique des relations qui sous-tend les
mathématiques, ce sont des formes purement symboliques. Si nous introduisons
les mathématiques pour comprendre l’esprit, nous usons simplement de formes
symboliques pour rendre compte de la nature, de la structure de l’esprit. Ça
n’a rien à voir avec la quantité, la mesure de quoi que ce soit.

 
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Pr
Dupré – C’est exactement ce que je dis. C’est pourquoi ce ne peut
être approprié et de quelque secours.

 
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Dr
Edelson – Mais ce qui supporte les mathématiques, c’est la logique
des relations, la logique de la symbolisation.

 
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Pr
Dupré – De quelque symbolisation, mais non de celle dont vous avez
besoin à vos fins.

 
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L. Ritvo – Diriez-vous
que Buffon, Lamarck et Cuvier et Claude Bernard et Pasteur et Darwin et Lyell,
qu’aucun d’eux n’est scientifique ?

 
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J. Lacan – Bien
sûr, ils le sont.

 
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L. Ritvo –
Mais ils n’ont pas formulé ces concepts mathématiques, leur œuvre était
dépourvue d’expression mathématique.

 
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Dr
Edelson – Il invoque les mathématiques autrement que vous. Ce sont
formes symboliques qui n’ont pas à faire avec la quantité.

 
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Pr
Hartman – La querelle porte sur l’interprétation du symbolisme des
mathèmes.

 
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Pr
Dupré – Mais c’est le problème : quel est le statut exact du
symbolisme des mathèmes ? Est-ce un symbolisme universel ou un…

 
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(31)J.
Lacan – C’est un symbolisme élaboré, toujours élaboré au moyen de
lettres.

 
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Pr
Hartman – Mais quid des
mots ? Même si la science analytique contient des mathèmes, il y a la
question de la pratique et de la traduction de tels mathèmes en pratique
analytique, qui est verbale, n’est-ce pas ?

 
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J. Lacan – Il
y a néanmoins un monde entre le mot et la lettre.

 
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Pr Hartman – Mais c’est leur lien que
vous désirez montrer…

 
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J. Lacan – Oui,
et qui m’amuse.

 
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Mme
Turkell – Comment articuleriez-vous l’idée que la psychanalyse
aspire au statut de science avec ce que vous en avez dit comme épidémie ?
En un sens, c’est un phénomène social…

 
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J. Lacan – Une
épidémie n’est pas un phénomène social, du moins pas dans le cas de la science.

 
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Mme
Turkell – Qu’est-ce qu’une épidémie scientifique ?

 
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J. Lacan – C’est
quand quelque chose est pris comme une simple émergence, alors que c’est en
fait une rupture radicale. C’est un événement historique qui s’est propagé et
qui a grandement influencé la conception de ce qu’on appelle univers, qui en
soi-même a une base très étroite, sauf dans l’imaginaire.

 
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Pr
Hartman – Vous nous avez accordé beaucoup de temps et de sagesse…

 
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J. Lacan – Comme
je bénéficie de votre attention, j’essayerai d’en dire un peu plus demain.

 
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PR Hartman –
Vous avez terminé votre exposé avec le mot « destin » et
maintenant nous terminerons avec le mot « épidémie ». Vous avez, de
fait, répondu à une épidémie de questions et nous vous en sommes très
reconnaissants.