Text/Jacques Lacan/ID22111961.htm

From No Subject - Encyclopedia of Psychoanalysis
Jump to: navigation, search

'J.LACAN'                          gaogoa

[ID15111961.htm <] [ID29111961.htm >]

IX-L'IDENTIFICATION

            Version rue CB                                    [#note note]

S�minaire du 22 novembre 1961

(->p 22) (II)

    Vous avez pu constater, non sans satisfaction, que j'ai pu vous introduire la derni�re fois � notre propos de cette ann�e par une r�flexion qui, en apparence, pourrait passer pour bien philosophante puisqu'elle portait justement sur une r�flexion philosophique, celle de Descartes, sans entra�ner de votre part, me semble-t-il, trop de r�actions n�gatives. Bien loin de l�, il semble qu'on m'ait fait confiance pour la l�gitimit� de sa suite. Je me r�jouis de ce sentiment de confiance que je voudrais pouvoir traduire en ce qu'on a tout au moins ressenti o� je voulais par l� vous amener.

    N�anmoins, pour que vous ne preniez pas en ceci, que je vais continuer aujourd'hui sur le m�me th�me, le sentiment que je m'attarde, j'aimerais poser que telle est bien notre fin, dans ce mode que nous abordons, de nous engager sur ce chemin. Disons le tout de suite, d'une formule que tout notre d�veloppement par la suite �clairera : ce que je veux dire c'est que, pour nous analystes ce que nous entendons par identification parce que c'est ce que nous rencontrons dans l'identification, dans ce qu'il y a de concret dans notre exp�rience concernant l' identification - c'est une identification de signifiant.

    Relisez dans le cours de linguistique un des nombreux passages o� De Saussure s'efforce de serrer, comme il le fait (->p 23) (II/2) sans cesse en la cernant, la fonction du signifiant, et vous verrez (je le dis entre parenth�ses) que tous ses efforts n' ont pas �t� finalement sans laisser la porte ouverte � ce que j'appellerai moins des diff�rences d'interpr�tation que de v�ritables divergences dans l'exploitation possible de ce qu'il a ouvert avec cette distinction si essentielle de signifiant et de signifi�. Peut-�tre pourrais-je toucher incidemment pour vous pour qu'au moins vous en rep�riez l'existence, la diff�rence qu' il y a entre telle ou telle �cole : celle de Prague, � laquelle Jakobson, auquel je me r�f�re si souvent, appartient de celle de Copenhague � laquelle Hjemslev a  donn� son orientation sous un titre que je n'ai encore jamais �voqu� devant vous, de la gloss�matique.

     Vous verrez :  il est presque fatal que je sois amen� � y revenir puisque nous ne pourrons pas faire un pas sans tenter d'approfondir cette fonction du signifiant , et par cons�quent son rapport au signe.

     Vous devez tout de m�me, d'ores et d�j�, savoir - je pense que m�me ceux d'entre vous qui ont pu croire, voire jusqu'� me le reprocher - que je r�p�tais Jakobson, qu'en fait, la position que je prends ici est en avance, en fl�che par rapport � celle de Jakobson concernant la primaut� que je donne � la fonction du signifiant dans toute r�alisation, disons, du sujet. Le passage de De Saussure, auquel je faisais allusion tout � l'heure -je ne le privil�gie ici que pour sa valeur d'image - c'est celui o� il essaie de montrer quelle est la sorte d'identit� qui est celle du  celle du signifiant en prenant l'exemple de l'express  de (->p 24) (II/3) 10h.15. L'express de 10h.15, dit-il, est quelque chose de parfaitement d�fini dans son identit� : c'est l'express de 10h.15 malgr� que manifestement les diff�rents express de 10h.15, qui se succ�dent toujours identiques chaque jour, n'aient absolument, ni dans leur mat�riel, voire m�me dans la composition de leur cha�ne, que des �l�ments, voire une structure r�elle diff�rente.

    Bien s�r, ce qu'il y a de vrai dans une telle affirmation suppose pr�cis�ment, dans la constitution d'un �tre comme celui de l'express de 10h.15, un fabuleux encha�nement d'organisation signifiante � entrer dans le r�el par le truchement des �tres parl�s. Il reste que ceci a une valeur en quelque sorte exemplaire, pour bien d�finir ce que je veux dire quand je prof�re d'abord ce que vais essayer pour vous d'articuler : ce sont les lois de l'identification en tant qu'identification de signifiant. Pointons m�me, comme un rappel, que pour nous en tenir � une opposition qui pour vous soit un suffisant support, ce qui s'y oppose, ce de quoi elle se distingue, ce qui n�cessite que nous �laborions sa fonction, c'est que l'identification de qui par l� elle se distance, c'est de l'imaginaire, celle dont il y a bien longtemps j'essayais de vous montrer l'extr�me � l'arri�re-plan du stade du miroir dans ce que j'appellerai l'effet organique de l'image du semblable, l'effet d'assimilation que nous saisissons en tel ou tel point de l'histoire naturelle, et l'exemple dont je me suis plu � montrer in vitro sous la forme de cette petite b�te, qui s'appelle le criquet p�lerin, et dont vous savez que l'�volution, la croissance, l'apparition de ce qu'on appelle l'ensemble des phan�res, de ce comme quoi-nous (->p 25) (II/4) pouvons le voir - dans sa forme d�pend en quelque sorte d'une rencontre qui se produit � tel moment de son d�veloppement, des stades, des phases de la transformation larvaire ou selon que lui seront apparus ou non un certain nombre de traits de 1'image de son semblable, il �voluera ou non, selon les cas, selon la forme que l'on appelle solitaire ou la forme que l'on appelle gr�gaire. 

    Nous ne savons pas du tout, nous ne savons m�me qu'assez peu de choses des �chelons de ce circuit organique qui entra�nent de tels effets. Ce que nous savons c'est qu'il est exp�rimentalement assur�. Rangeons-le dans la rubrique g�n�rale des effet d'image dont nous retrouverons toutes sortes de formes � des niveaux tr�s diff�rents de la physique et jusque dans le monde inanim�, vous le savez, si nous d�finissons 1'image comme tout arrangement physique qui a pour r�sultat entre deux syst�mes de constituer une concordance biunivoque, � quelque niveau que ce soit.

    C'est une formule fort concevable, et qui s'appliquera aussi bien � l'effet que je viens de dire, par exemple, qu'� celui de la formation d'une image, m�me virtuelle, dans la nature par l'interm�diaire d'une surface plane, que ce soit celle du miroir ou celle que j'ai longtemps �voqu�e, de la surface  du lac qui refl�te la montagne.

    Est-ce � dire que, comme c'est la tendance qui s'�tale sous l'influence d'une esp�ce, je dirais, d'ivresse, qui saisit r�cemment la pens�e scientifique du fait de l'irruption   de ce qui n' est en son fond que la d�couverte de la dimension de (->p 26) (II/5) la cha�ne signifiante comme telle mais qui, dans de toutes sortes de fa�ons, va �tre r�duit par cette pens�e � des termes plus simples - et tr�s pr�cis�ment c'est ce qui s'exprime dans les th�ories dites de l'information - est-ce � dire qu'il soit juste, sans autre connotation de nous r�soudre � caract�riser la liaison entre les deux syst�mes, dont l'un est par rapport � l'autre, l'image par cette id�e de l'information, qui est tr�s g�n�rale, impliquant certains chemins parcourus par ce quelque chose qui v�hicule la concordance biunivoque ?

    C'est bien l� que g�t une tr�s grande ambigu�t�, je veux dire ce11e qui ne peut aboutir qu'� nous faire oublier les niveaux propres de ce que doit comporter l'information si nous voulons lui donner une autre valeur que celle vague qui n'aboutirait en fin de compte qu'� donner une sorte de r�interpr�tation, de fausse consistance � ce qui jusque l� avait �t� subsum� et ceci depuis l'Antiquit� jusqu'� nos jours sous la notion de la forme, quelque chose qui prend, enveloppe, commande les �l�ments, leur donne un certain type de finalit� qui est celui, dans l'ensemble de l'ascension de l'�l�mentaire vers 1e complexe, de l'inanim� vers l'anim� : c'est quelque chose qui a, sans doute, son �nigme et sa valeur propre, son ordre de r�alit�, mais qui est distinct - c'est ce que j'entends articuler ici avec toute sa force - de ce que nous apporte de nouveau, dans la nouvelle perspective scientifique, la mise en valeur, le d�gagement de ce qui est apport� par l'exp�rience du langage et de ce que le rapport signifiant nous permet d'introduire comme dimension originale qu'il s'agit de distinguer radicalement du r�el sous la forme de la dimension symbolique. Ce n'est pas, vous le voyez, par l� que (->p 27) (II/6) j'aborde le probl�me de ce qui va nous permettre de scinder cette ambigu�t�.

D'ores et d�j� tout de m�me j'en ai dit assez pour que vous sachiez, que vous ayez d�j� senti, appr�hend�, dans ces �l�ments d'information signifiante, l'originalit� qu'apporte le trait, disons, de s�rialit�, qu'ils comportent, trait aussi de discr�tion, je veux dire de coupure, ceci que Saussure n'a pas articul� mieux ni autrement que de dire que ce  qui les caract�rise de chacun, c'est d'�tre ce que les autres ne sont pas.
Diachronie et synchronie sont les termes auxquels je vous ai indiqu� de vous rapporter, encore tout ceci n'est-il pas pleinement  articul�, la distinction devant �tre faite de cette diachronie de fait : trop souvent elle est seulement ce qui est vis� dans l'articulation des lois du signifiant. Il y a diachronie de droit par o� nous rejoignons la structure ; de m�me la synchronie, �a n'est point tout en dire, loin de l�, que d'en impliquer la simultan�it� virtuelle dans quelque sujet suppos� du code, car c'est la retrouver, ce dont la derni�re fois je vous montrais que pour nous il y a l� une entit� pour nous intenable. Je veux dire donc que nous ne pouvons nous contenter d'aucune fa�on d'y recourir, car ce n'est qu'une des formes de ce que je d�non�ais � la fin de mon discours de la derni�re fois sous le nom du sujet suppos� savoir. C'est l� ce pourquoi je commence de cette fa�on cette ann�e mon introduction � la question de l'identification, c'est qu'il s'agit de partir de la difficult� m�me celle qui nous est propos�e du fait m�me de notre exp�rience de ce d'o� elle part, de ce � partir de quoi il nous faut l'articuler, la th�oriser ; c'est que nous ne pouvons, m�me � l'�tat de vis�e, promesse du futur, d'aucune fa�on nous r�f�rer,
(->p 28) (II/7) comme Hegel le fait, � aucune terminaison possible, justement parce que nous n'avons aucun droit � la poser comme possible du sujet dans un quelconque savoir absolu.

    Ce sujet, suppos� savoir, il faut que nous apprenions � nous en passer � tous les moments. Nous ne pouvons y recourir � aucun moment, ceci est exclu ; par une exp�rience que nous avons d�j� depuis le s�minaire sur le d�sir et sur l'interpr�tation (premier trimestre qui a �t� publi�) c'est tr�s pr�cis�ment ce qui m'a sembl� en tout cas ne pouvoir �tre suspendu de cette publication, car c'est l� le terme de toute une phase de cet enseignement que nous avons faite : c'est que ce sujet qui est le n�tre, ce sujet que j'aimerais aujourd'hui � interroger pour vous � propos de la d�marche cart�sienne, c'est le m�me que dans ce premier trimestre je vous ai dit que nous ne pouvions pas l'approcher plus loin, qu'il n'est fait dans ce r�ve exemplaire qui l'articule tout entier autour de la phrase "il ne savait pas qu'il �tait mort".

    En toute rigueur, c'est bien l�, contrairement � l'opinion de Politzer le sujet de l'�nonciation, mais en troisi�me personne, que nous pouvons le d�signer. Ce n'est pas dire, bien s�r, que nous ne puissions l'approcher en premi�re personne, mais cela sera pr�cis�ment savoir qu'� le faire, et dans l'exp�rience la plus path�tiquement accessible, il se d�robe, car le traduire dans cette premi�re personne, c'est � cette phrase que nous aboutirons : � dire ce que nous pouvons dire justement, dans la mesure pratique o� nous pouvons nous confronter avec ce chariot du temps, comme dit John Donne "hurrying near" : il nous talonne, et dans ce moment d'arr�t o� nous pouvons pr�voir (->p 29) (II/8)  le moment ultime, celui pr�cis�ment o� tout d�j� nous l�chera, nous dire  : "je ne savais pas que je vivais d'�tre mortel".

    Il est bien clair que c'est dans la mesure o� nous pourrons nous dire l'avoir oubli� presque � tout instant que nous serons mis dans cette incertitude, pour laquelle il n'y a aucun nom, ni tragique, ni comique, de pouvoir nous dire, au moment de quitter notre vie, qu'� notre propre vie nous aurons toujours  �t� en quelque mesure �tranger. C'est bien l� ce qui est le fond de l'interrogation philosophique la plus moderne, ce par quoi, m�me pour ceux qui n'y entravent, si je puis dire, que fort peu, voire ceux l� m�me qui font �tat de leur sentiment de cette obscurit�, tout de m�me quelque chose passe, quoi qu'on en dise, quelque chose passe d'autre que la vague d'une mode dans la formule d'Heidegger nous rappelant au fondement existentiel de l' �tre pour la mort. Cela n'est pas l� un ph�nom�ne contingent, quelles qu'en soient les causes, quelles qu'en soient les corr�lations, voire m�me la port�e - on peut le dire - que ce qu'on peut appeler la profanation des grands phantasmes forg�s pour le d�sir par le mode de pens�e religieuse, ce mode de pens�e est l� ce qui nous laissera d�couverts, inermes, suscitant ce creux, ce vide, � quoi s'efforce de r�pondre cette m�ditation philosophique moderne, et � quoi notre exp�rience a quelque chose aussi � apporter, puisque c'est l� sa place, � l'instant que je vous d�signe suffisamment, la m�me place o� ce sujet se constitue comme ne pouvant savoir pr�cis�ment ce dont pourquoi il s'agit l� pour lui du Tout.

    C'est l� le prix de ce que nous apporte Descartes et c'est bien  pourquoi il �tait bon d'en partir.

    (->p 30) (II/9)  C'est pourquoi j'y reviens aujourd'hui, car il convient de reparcourir pour remesurer ce dont il s'agit dans ce que vous avez pu entendre que je je vous d�signais comme l'impasse, voire l'impossible du "je pense donc je suis".

    C'est justement cet impossible qui fait son prix et sa valeur, ce sujet que nous propose Descartes, si ce n'est l� que le sujet autour de quoi  la cogitation de toujours tournait avant, tourne depuis, il est clair que nos objections dans notre dernier discours, prennent tout leur poids, le poids m�me impliqu� dans l'�tymologie du verbe fran�ais penser qui ne veut dire rien d'autre que peser. Quoi fonder sur "je pense", si nous savons, nous analystes, que ce "� quoi je pense" que nous pouvons saisir, renvoie � un "de quoi et d'o� � partir de quoi je pense" qui se d�robe n�cessairement; et c'est bien pourquoi la formule de Descartes nous interroge de savoir s'il n'y a pas du moins ce point privil�gi� du "je pense" pur sur lequel nous puissions nous fonder, et c'est pourquoi il �tait tout au moins important que je vous arr�te un instant. Cette formule semble impliquer qu'il faudrait que le sujet se soucie de penser � tout instant pour s'assurer d'�tre. Suffit-il qu'il pense �tre pour qu'il touche � l'�tre pensant ? car c'est bien cela o� Descartes, dans cette incroyable magie du discours des deux premi�res m�ditations, nous suspend. I1 arrive � faire tenir, je dis dans son texte, non pas une fois que le professeur de philosophie en aura p�ch� le signifiant et trop facilement montrera l'artifice qui r�sulte de formuler qu'ainsi pensant je puis me dire une chose qui pense - c'est trop facilement r�futable - mais qui ne retire rien de la force de progr�s du texte, � ceci pr�s (->p 31) (II/10) qu'il nous faut bien interroger cet �tre pensant, nous demander si ce n'est pas le participe d'un �tre - penser (� �crire � l'infinitif et en un seul mot) : j'�tre-pense, comme on dit j'outrecuide, comme nos habitudes d'analystes nous font dire "je compense, voire je d�compense, je surcompense". C'est le m�me terme et aussi l�gitime dans sa composition. Dès lors, le "je pense-�tre" qu'on nous propose pour nous y introduire, peut para�tre, dans cette perspective, un artifice mal tol�rable puisqu'aussi bien � formuler les choses ainsi, l'�tre d�j� d�termine le registre dans lequel s'inaugure toute ma d�marche ; ce "je pens�tre" -je vous l'ai dit la derni�re fois- ne peut m�me dans le texte de Descartes, se connoter que des traits du leurre et de l'apparence. "Je pens�tre" n'apporte avec lui aucune autre consistance plus grande que celle du r�ve o� effectivement Descartes � plusieurs temps de sa d�marche nous a laiss� suspendus. Le "je pens�tre" peut lui aussi se conjuguer comme un verbe, mais il ne va pas plus loin : "je pens�tre, tu pens�tres, avec l's si vous voulez � la fin, cela peut aller encore, voire "il pens�tre". Tout ce que nous pouvons dire c'est que si nous en faisons les temps du verbe d'une sorte d'infinitif "pens�trer", nous ne pourrons que le connoter de ceci qui s'�crit dans les dictionnaires que toutes les autres formes, pass�e la troisi�me personne du singulier du pr�sent, sont institu�es en fran�ais. Si nous voulons faire de l'humour nous ajouterons qu'elles sont suppl�es ordinairement par les m�mes formes du verbe compl�mentaire du pens�trer" : le verbe s'emp�trer. Qu'est-ce � dire ?  C'est que l'acte d'�trepenser - car c'est de cela qu'il s'agit - ne d�bouche pour qui pense qui que sur un "peut-�tre je", et aussi bien je ne suis pas le (->p 32) (II/11) premier ni le seul depuis toujours � avoir remarqu� le trait de contrebande de l'introduction de ce "je" dans la conclusion "je pense donc je suis". Il est bien clair que ce "je" reste � l'�tat probl�matique et que jusqu'� la suivante d�marche de Descartes - et nous allons voir laquelle - il n'y a aucune raison qu'il soit pr�serv� de la remise en question totale que fait Descartes de tout le proc�s par la mise en profil pour les fondements de ce proc�s de la fonction du Dieu trompeur vous savez qu'il va plus loin : le Dieu trompeur c'est encore un bon Dieu : pour �tre l�, pour me bercer d'illusions, il va  jusqu'au malin g�nie, au menteur radical, � celui qui m'�gare pour m'�garer : c'est ce qu'on a appel� le doute hyperbolique. On ne voit aucunement comment ce doute a �pargn� ce "je" et le laisse donc � proprement parler dans une vacillation fondamentale.

    I1 y a deux fa�ons, cette vacillation, de l'articuler : l'articulation classique, celle qui se trouve d�j� - je l'ai retrouv�e avec plaisir - dans la psychologie de Brentano, celle que Brentano rapporte � tr�s juste titre � Saint Thomas d'Aquin, � savoir que l'�tre ne saurait se saisir comme pens�e que d'une fa�on alternante. C'est dans une succession de temps alternant qu'il pense, que sa m�moire s'approprie sa r�alit� pensante sans qu'� aucun instant puisse se conjoindre cette pens�e dans sa propre certitude.

    L'autre mode, qui est celui qui nous m�ne plus proches de la d�marche cart�sienne, c'est de nous apercevoir justement du caract�re � proprement parler �vanouissant de ce "je", nous faire voir que le v�ritable sens de la premi�re d�marche car-(->p 33) (II/12)t�sienne c'est de s'articuler comme un "je pense et je ne suis"
Bien s�r, on peut s'attarder aux approches de cette assomption et nous apercevoir que je d�pense � penser tout ce que je peux avoir d'�tre. Qu'il soit clair qu'en fin de compte c'est de cesser de penser que je peux entrevoir que je sois tout simplement ; ce ne sont l� qu'abords. Le "je pense et je ne suis" introduit pour nous toute une succession de remarques, justement de celles dont je vous parlais la derni�re fois concernant la morphologie du fran�ais, celle d'abord sur ce "je", tellement dans notre langue plus d�pendant dans sa forme de premi�re personne que dans l'anglais ou dans l'allemand, par exemple, ou le latin o� � la question "qu'est-ce qui l'a fait ?" vous pouvez r�pondre : I, Ich, Ego, mais non pas je en fran�ais, mais "c'est moi" ou "pas moi". Mais je est autre chose, ce je dans le parler si facilement �lid� gr�ce aux propri�t�s dites muettes de sa vocalise, ce je qui peut �tre un ch'sais pas,  C'est-�-dire que le E dispara�t, mais ch'sais pas est autre chose - vous le sentez bien pour �tre de ceux qui ont du fran�ais une exp�rience originale - que le "je ne sais". Le ne du "je ne sais"' porte non pas sur le sais, mais sur le je. C'est pour cela aussi. que, contrairement � ce qui se passe dans ces langues voisines auxquelles, pour ne pas aller plus loin, je fais allusion � l' instant, c'est avant le verbe que porte cette partie d�compos�e - appelons-la comme cela pour l'instant - de la n�gation qu'est le ne en fran�ais. Bien s�r, le ne n'est-il pas propre au fran�ais, ni unique : le ne latin se pr�sente pour nous avec toute la m�me probl�matique, que je ne fais aussi ici que d'introduire et sur laquelle nous reviendrons.

    (->p 34) (II/13) Vous le savez, j'ai d�j� fait allusion � ce que Pichon � propos de la n�gation en fran�ais, y a apport� d'indications, je ne pense pas - et ce n'est pas non plus nouveau, je vous l' ai indiqu� en ce m�me temps - que les formulations de Pichon sur le forclusif et le discordantiel puissent r�soudre la question, encore qu'elles l'introduisent admirablement.

    Mais le voisinage, le frayage naturel dans la phrase fran�aise du je avec la premi�re partie de la n�gation, "je ne sais" est quelque chose qui rentre dans ce registre de toute une s�rie de faits concordants, autour de quoi je vous signalais l'int�r�t de l'�mergence particuli�rement significative dans un certain usage linguistique des probl�mes qui se rapportent au sujet comme tel dans ses rapports au signifiant.

    Ce � quoi donc je veux en venir c'est ceci : que si nous nous trouvons plus facilement que d'autres mis en garde contre ce mirage du savoir absolu, celui dont c'est d�j� suffisamment le r�futer que de le traduire dans le repos repu d'une sorte de septi�me jour colossal en ce dimanche de la vie ou l'animal humain enfin pourra s'enfoncer le museau dans l'herbe, la grande machine �tant d�sormais r�gl�e au dernier carat de ce n�ant mat�rialis� qu'est la conception du savoir. Bien s�r, l'�tre aura enfin trouv� sa part et sa r�serve dans sa stupidit� d�sormais d�finitivement embercaill�e, et l'on suppose que du m�me coup sera arrach� avec l'excroissance pensante son p�doncule, � savoir le souci.

    Mais ceci, du train o� vont les choses, lesquelles sont faites, malgr� son charme, pour �voquer qu'il y a l� quelque (->p 35) (II/14) chose d'assez parent � ce � quoi nous nous exer�ons avec je dois dire beaucoup plus de fantaisie et d'humour : ce sont les diverses amusettes de ce qu'on appelle commun�ment la science-fiction, lesquelles montrent sur ce th�me que toutes sortes de variations sont possibles.

    A ce titre, bien s�r, Descartes ne parait pas en mauvaise posture. Si on peut peut-�tre d�plorer qu'il n'en ait pas su plus long sur ces perspectives du savoir, c'est � ce seul titre que s'il en e�t su plus long, sa morale en e�t �t� moins courte. Mais mis � part ce trait que nous laissons ici provisoirement de c�t� pour la valeur de sa d�marche initiale bien loin de l�, il en r�sulte tout autre chose.

    Les professeurs, � propos du doute cart�sien, s'emploient beaucoup � souligner qu'il est m�thodique. Ils y tiennent �norm�ment : m�thodique, cela veut dire doute � froid. Bien s�r, m�me dans un certain contexte, on consommait des plats refroidis ; mais, � la v�rit�, je ne crois pas que ce soit la juste fa�on de consid�rer les choses, non pas que je veuille d'aucune fa�on vous inciter � consid�rer le cas psychologique de Descartes, si passionnant que ceci puisse appara�tre de retrouver dans sa biographie, dans les conditions de sa parent�, voire de sa descendance, quelques-uns de ces traits qui, rassembl�s, peuvent faire une figure, au moyen de quoi nous retrouverons les caract�ristiques g�n�rales d'une psychasth�nie, voire d'engouffrer dans cette d�monstration le c�l�bre passage des porte-manteaux humains, ces sortes de marionnettes autour de quoi il semble possible de restituer une pr�sence que, gr�ce � tout le d�tour de sa pens�e, on voit pr�cis�ment � ce moment l� en train de se (->p36) (II/15) d�ployer, je n'en vois pas beaucoup l'int�r�t. Ce qui m'importe c'est qu'apr�s avoir tent� de faire sentir que la th�matique cart�sienne est injustifiable logiquement, je puisse r�affirmer qu'elle n'est pas pour autant irrationnelle, elle n'est pas plus irrationnelle que le d�sir n'est irrationnel de ne pouvoir �tre articulable simplement parce qu'il est un fait articul�, comme je crois que c'est tout le sens de ce que je vous d�montre depuis un an de vous montrer comment il l'est.

    Le doute de Descartes, on l'a soulign�, et je ne suis pas non plus la premier � le faire, est un doute bien diff�rent du doute sceptique bien s�r. Aupr�s du doute de Descartes, le doute sceptique se d�ploie tout entier au niveau de la question du r�el. Contrairement, � ce qu'on croit, il est loin de le mettre en cause, il y rappelle, il y rassemble son monde, et tel sceptique dont tout le discours nous r�duit � ne plus tenir pour valable que la sensation, ne la fait pas du tout pour autant s'�vanouir, il nous dit qu'elle a plus de poids, qu'elle est plus r�elle que tout ce que nous pouvons construire à son propos. Ce doute sceptique a sa place, vous le savez, dans la ph�nom�nologie de l'esprit de Hegel ; il est un temps de cette recherche, de cette qu�te � quoi s'est engag� par rapport � lui-m�me le savoir, ce savoir qui n'est qu'un savoir-pas-encore, donc, qui de ce fait est un savoir-d�j�. Ce n'est pas du tout ce � quoi Descartes s'attaque. Descartes n'a nulle part sa place dans la Ph�nom�nologie de l'Esprit, il met en question le sujet lui-m�me et, malgr� qu'il ne le sache pas, c'est du sujet suppos� savoir qu'il s'agit ; ce n'est pas de se reconna�tre dans ce dont l'esprit est capable qu'il s'agit pour nous, c'est du sujet lui-m�me comme acte inaugural qu'il est question.

(->p37) (II/16) C'est, je crois, ce qui fait le prestige, ce qui fait la  valeur de fascination, ce qui fait l'effet de tournant qu'a eu effectivement dans l'histoire cette d�marche insens�e de Descartes, c'est qu'elle a tous les caract�res de ce que appelons dans notre vocabulaire un passage � l'acte. Le premier temps de la m�ditation cart�sienne a le trait d'un passage � l'acte. Il se situe au niveau de ce stade n�cessairement insuffisant, et en m�me temps n�cessairement primordial, toute tentative ayant le rapport le plus radical, le plus originel au d�sir, et la preuve c'est bien ce � quoi il est conduit dans la d�marche du Dieu qui succ�de imm�diatement. Celle qui succ�de imm�diatement, la d�marche du jeu trompeur, qu'est-elle ?

    Elle est l'appel � quelque chose que, pour la mettre en contraste avec les preuves ant�rieures, bien entendu non annulables, de l'existence de Dieu, je me permettrai d'opposer comme le verissimum � l'entissimum. Pour Saint Anselme, Dieu c'est le plus �tre des �tres. Le Dieu dont il s'agit ici, celui qui fait entrer Descartes � ce point de sa th�matique, est ce Dieu qui doit assurer la v�rit� de tout ce qui s'articule comme tel. C'est le vrai du vrai, le garant que la v�rit� existe et d'autant plus garant qu'elle pourrait �tre autre, nous dit Descartes, cette v�rit� comme telle, qu'elle pourrait �tre si ce Dieu l� le voulait, qu'elle pourrait �tre � proprement parler l'erreur. Qu'est-ce � dire ? sinon que nous nous trouvons l� dans tout ce qu'on peut appeler la batterie du signifiant confront�e � ce trait unique, � cet einziger Zug que nous connaissons d�j�, pour autant qu'� la rigueur il pourrait �tre substitu� � tous les �l�ments de ce qui constitue la cha�ne signifiante, la (->p38) (II/17) supporter cette cha�ne, � lui seul et simplement d'�tre toujours le m�me.

    Ce que nous trouvons � la limite de l'exp�rience cart�sienne comme tel du sujet �vanouissant, c'est la n�cessit� de ce garant, du trait de structure le plus simple, du trait unique, si j'ose dire, absolument d�personnalis�, non pas seulement de tout contenu subjectif, mais m�me de toute variation qui d�passe cet unique trait, de ce trait qui est un d'�tre 1e trait unique.

    La fondation de l'un que constitue ce trait n'est nulle part prise ailleurs que dans son unicit� : comme tel on ne peut dire de lui autre chose sinon qu'il est ce qu'a de commun tout signifiant d'�tre avant tout constitu� comme trait, d'avoir ce trait pour support.

    Est-ce que nous allons pouvoir, autour de cela nous rencontrer dans le concret de notre exp�rience ? Je veux dire ce que vous voyez d�j� point�, � savoir la substitution dans une fonction qui a donn� tellement de mal � la pens�e philosophique, � savoir cette pens�e presque n�cessairement id�aliste qu'� toute articulation du sujet dans la tradition classique, lui substituer cette fonction d'id�alisation en tant que sur elle repose cette n�cessit� structurale, qui est la m�me que d�j� j'ai devant vous articul�e sous 1a forme de l'id�al du moi, en tant que c'est � partir de ce point, non pas mythique, mais parfaitement concret d'identification inaugural du sujet au signifiant radical, non pas de l'un plotinien, mais du trait unique comme tel que toute la perspective du sujet comme ne (->p 39) (II/18) sachant pas peut  se d�ployer d'une fa�on rigoureuse. C'est ce qu'apr�s vous avoir fait passer aujourd'hui sans doute par des chemins, dont je vous rassure en vous disant que c'est s�rement le sommet le plus difficile de la difficult� par laquelle j'ai � vous faire passer, qui est franchi aujourd'hui, c'est ce que je pense pouvoir devant vous, d'une fa�on plus satisfaisante , plus faite pour nous  faire retrouver nos horizons pratiques, commencer de formuler.

note: bien que relu, si vous d�couvrez des erreurs manifestes dans ce s�minaire, ou si vous souhaitez une pr�cision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un [mailto:gaogoa@free.fr �mail]. [#J.LACAN Haut de Page] 
[../../erreurs.htm commentaire]        
relu et corrig�  ao�t 2002 ; relu et coorigé par Eric MOCHER le 23.08.2004