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'J.LACAN'                          gaogoa

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IX-L'IDENTIFICATION

            Version rue CB                                    [#note note]

S�minaire du 29 novembre 1961

(->p40) (III)

    Je vous ai donc amen�s la derni�re fois � ce signifiant qu'il faut que soit en quelque fa�on le sujet pour qu'il soit vrai que le sujet est signifiant.

    Il s'agit tr�s pr�cis�ment du 1 en tant que trait unique ; nous pourrons raffiner sur le fait que l'instituteur �crit le 1 comme cela avec une barre montante qui indique en quelque sorte d'o� il �merge. Ce ne sera pas un pur raffinement d'ailleurs  parce qu'apr�s tout c'est justement ce que nous aussi nous allons faire : essayer de voir d'où il sort. Mais nous n'en sommes pas l�. Alors, histoire d'accommoder votre vision mentale fortement embrouill�e par les effets d'un certain mode de culture, tr�s pr�cis�ment celui qui laisse b�ant l'intervalle entre l'enseignement primaire et l'autre dit secondaire, sachez que je ne suis pas en train de vous diriger vers l'un de Parm�nide, ni l'un de Plotin, ni l'un d'aucune totalit� dans notre champ de travail dont on fait depuis quelque temps si grand cas. Il s'agit bien du 1 que j'ai appel� tout � l'heure de l'instituteur, de l'un du "�l�ve X, vous me ferez cent lignes de 1", c'est-�-dire des b�tons : "�l�ve Y vous aurez un 1 en fran�ais". L'instituteur sur son carnet, trace l'Einziger Zug, le trait unique du signe � jamais suffisant de la notation minimale. C'est de ceci qu'il s'agit c'est du rapport de ceci avec ce � quoi nous avons affaire dans l'identification. Si j'�tablis (->p41) (III/2) un rapport, il doit peut-�tre commencer � appara�tre � votre esprit comme une aurore, que �� n'est pas tout de suite collaps�, l'identification. Ce n'est pas tout simplement ce 1, en tout cas pas tel que nous l'envisageons : tel que nous envisageons, il ne peut �tre - vous le voyez d�j�, chemin par o� je vous conduis -  que l'instrument � la rigueur de cette identification et vous allez voir, si nous y regardons de pr�s,  que cela n'est pas si simple.

    Car si ce qui pense, l'�tre pensant de notre entretien, reste au rang du r�el en son opacit�, il ne va pas tout seul qu'il sorte de quelqu'�tre o� il n'est pas identifi�, j'entends :  pas d'un quelqu'�tre m�me o� il est en somme jet� sur le pav� de quelque �tendue qu'il a fallu d'abord une pens�e pour balayer et rendre vide. M�me pas : nous n'en sommes pas l�. Au niveau du r�el, ce que nous pouvons entrevoir, c'est l'entrevoir parmi tant d'�tres aussi, en un seul mot, tant d'�tres d'un �tr'�tant o� il est accroch� � quelque mamelle, bref, tout au plus capable d'�baucher cette sorte de palpitation de l'�tre qui fait tant rire l'enchanteur au fond de la tombe o� l'a enferm� la caut�le de la dame du lac.

    Rappelez-vous  - il y a quelques ann�es, l'ann�e du s�minaire sur le pr�sident Schreber - l'image que j'ai �voqu�e lors du dernier s�minaire de cette ann�e, celle po�tique du monstre Chapalu apr�s qu'il se soit repu du corps des sphinx meurtris par leur saut suicidaire, cette parole dont rira longtemps l'enchanteur pourrissant du monstre Chapalu " celui qui mange n'est plus seul ".

(->p42) (III/3)

    Bien s�r, pour que de l'�tre vienne au jour, il y a la perspective de l'enchanteur ; c'est bien elle au fond qui r�gle tout. Bien s�r, l'ambigu�t� v�ritable de cette venue au jour de la v�rit� est ce qui fait l'horizon de toute notre pratique. Mais il ne nous est point possible de partir de cette perspective dont le mythe vous indique assez qu'elle est au del� de la limite mortelle : l'enchanteur pourrissant dans sa tombe. Aussi n'est-ce pas l� un point de vue qui soit jamais compl�tement abstrait pour y penser, � une �poque où les doigts en haillons de l'arbre de Daphn�, s'ils se profilent sur le champ calcin� par le champion g�ant de notre toute puissance toujours pr�sente � l'heure actuelle � l'horizon de notre imagination, sont l� pour nous rappeler l'au-del� d'o� peut se poser le point de vue de la v�rit�. Mais ce n'est pas la contingence qui fait que j'ai ici � parler devant vous des conditions du v�ritable. C'est un incident beaucoup plus minuscule celui qui m'a mis en demeure de prendre soin de vous en tant que poign�e de psychanalystes dont je vous rappelle que de la v�rit� vous n'en avez certes pas � revendre, mais que quand m�me c'est �a votre salade, c'est ce que vous vendez.

    I1 est clair que, � venir vers vous, c'est apr�s du vrai qu'on court, je l'ai dit l'avant derni�re fois que c'est du vrai de vrai qu'on cherche. C'est justement pour cela qu'il est l�gitime que, concernant l'identification je sois parti d'un texte dont j'ai essay� de vous faire sentir le caract�re assez unique dans l'histoire de la philosophie pour ce que la question du v�ritable y �tant pos�e de fa�on sp�cialement radicale, en tant qu'elle met en cause, non point ce qu'on trouve de vrai (->p43) (III-4)  dans le r�el, mais le statut du sujet en tant qu'il est charg� de l'y amener, ce vrai dans le r�el, je me suis trouv�, au terme de mon dernier discours, celui de la fois derni�re, aboutir � ce que je vous ai indiqu� comme reconnaissable dans la figure pour nous d�j� rep�r�e du trait unique de l'Einziger Zug, pour autant que c'est sur lui que se concentre pour nous la fonction d'indiquer la place o� est suspendue dans le signifiant, o� est accroch�e, concernant le signifiant, la question de sa garantie, de sa fonction, de ce � quoi �� sert, ce signifiant, dans l'av�nement de la v�rit�. C'est pour cela que je ne sais pas jusqu'o� aujourd'hui je pousserai mon discours, mais il va �tre tout entier tournant autour de la fin d'assurer dans vos esprits cette fonction du trait unique, cette fonction du un .

Bien s�r, c'est  l� du m�me coup mettre en cause, c'est l� du m�me coup  faire avancer - et je pense rencontrer de  fait en vous une esp�ce d'approbation, de coeur au ventre - notre connaissance de ce que c'est que ce signifiant.

    Je vais commencer, parce que cela me chante, par vous faire faire un peu d'�cole buissonni�re. J'ai fait allusion l'autre jour � une remarque gentille, tout ironique qu'elle f�t, concernant le choix de mon sujet de cette ann�e comme s'il n'�tait point absolument n�cessaire. C'est une occasion de mettre au point ceci, ceci qui est s�rement un peu connexe du reproche qu'elle impliquait que l'identification, �� serait la clef � tout faire comme si elle �vitait de se r�f�rer � un rapport imaginaire qui seul en supporte l'exp�rience, � savoir le rapport au corps.

(->p44) III/5

    Tout ceci est coh�rent du m�me reproche qui peut m' �tre adress� dans les voies que je poursuis, de vous maintenir toujours trop au niveau de l'articulation langagi�re telle que pr�cis�ment je m'�vertue � 1a distinguer de toute autre. De l� � l'id�e que je m�connais ce qu'on appelle le pr�verbal, que je m�connais l'animal, que je crois que l'homme en tout ceci a je ne sais quel privil�ge, il n'y a qu'un pas d'autant plus vite franchi qu'on n'a pas le sentiment de le faire. C'est � y repenser, au moment o� plus que jamais cette ann�e je vais faire virer autour de la structure du langage, tout ce que je vais vous expliquer que je me suis retourn� vers une exp�rience proche, imm�diate, courte, sensible et sympathisante, qui est la mienne et qui peut-�tre �clairera ceci que j'ai moi aussi ma notion du pr�verbal qui s'articule � l'int�rieur du rapport du sujet au verbe d'une fa�on qui ne vous est peut-�tre point apparue.

    Aupr�s de moi, parmi l'entourage de Mitseinden, o� je me tiens  comme Dasein, j'ai une chienne que j'ai nomm� Justine en hommage � Sade, sans que, croyez-le bien, je n'exerce sur elle aucun s�vices orient�. Ma chienne, � mon sens et sans ambigu�t�, parle. Ma chienne a la parole sans aucun doute. Ceci est important, car cela ne veut pas dire qu'elle ait totalement le langage. La mesure dans laquelle elle a la parole sans avoir le rapport humain au langage est une question d'o� vaut la peine  d'envisager le probl�me du pr�verbal. Qu'est-ce que fait ma chienne quand elle parle, � mon sens ? Je dis qu' elle parle, pourquoi ? Elle ne parle pas tout le temps, elle parle contrairement � beaucoup d'humains, uniquement dans les moments où elle a besoin de parler. Elle a besoin de parler (-> p45) III/6 dans des moments d'intensit� �motionnelle et de rapports � l' autre, � moi-m�me, et quelques autres personnes. La chose se manifeste par des sortes de petits couinements gutturaux. Cela ne se limite pas l�. La chose est particuli�rement frappante et path�tique � se manifester dans un quasi-humain qui fait que j'ai aujourd'hui l'id�e de vous en parler : c'est une chienne boxer, et vous voyez sur ce facies quasi-humain, assez n�andertalien en fin de compte, appara�t un certain fr�missement de la l�vre, sp�cialement sup�rieure sous ce mufle, pour un humain un peu relev�, mais enfin il y a des types comme cela : j'ai eu une gardienne qui lui ressemblait �norm�ment, et ce fr�missement labial quand il lui arrivait de communiquer, � la gardienne, avec moi en tels sommets intentionnels n'�tait point sensiblement diff�rent . L'effet de souffle sur les joues de l'animal n'�voque pas moins sensiblement tout un ensemble de m�canismes de type proprement phonatoire qui, par exemple, pr�terait tout � fait aux exp�riences c�l�bres qui furent celles de l'Abb� Rousselot, fondateur de la phon�tique. Vous savez qu'elles sont fondamentales et consistent essentiellement � faire habiter les diverses cavit�s dans lesquelles se produisent les vibrations phonatoires par de petits tambours, poires, instruments vibratiles qui permettent de contr�ler à quels niveaux et � quels temps viennent se superposer les �l�ments divers qui constituent l'�mission d'une syllabe, et plus pr�cis�ment tout ce que nous appelons le phon�me, car ces travaux phon�tiques sont les ant�c�dents naturels de ce qui s'est ensuite d�fini comme phon�matique.

    Ma chienne a la parole, et c'est incontestable, indiscutable, non seulement de ce que les modulations qui r�sultent -(->p46) III/7- de ces efforts proprements articul�s, d�composables, inscriptibles in loco, mais aussi des corr�lations du temps o� ce phon�me se produit, � savoir la cohabitation dans une pi�ce, o� l'exp�rience a dit � l'animal que le groupe humain r�uni autour de la table doit rester longtemps, que quelques reliefs de ce qui se passe � ce moment-l�, � savoir les agapes, doivent lui revenir : il ne faut pas croire que tout soit centr� sur le besoin. Il y a une certaine relation sans doute avec cet �l�ment de consommation, mais l'�l�ment communionnel du fait qu ' elle consomme avec les autres y est pr�sent .

    Qu'est-ce qui distingue cet usage, en somme tr�s suffisamment r�ussi pour les r�sultats qu'il s'agit d'obtenir chez ma chienne, de la parole, d'une parole humaine ? Je ne suis pas en train de vous donner des mots qui pr�tendent couvrir tous les r�sultats de la question, je ne donne des r�ponses qu' orient�es vers ce qui doit �tre pour nous tous ce qu'il s'agit, de rep�rer, � savoir : le rapport � l'identification. Ce qui distingue cet animal parlant de ce qui se passe du fait que l'homme parle, est ceci, qui est tout � fait frappant concernant ma chienne, une chienne qui pourrait �tre la v�tre, une chienne qui n'a rien d'extraordinaire, c'est que, contrairement � ce qui se passe chez l'homme en tant qu'il parle, elle ne me prend jamais pour un autre. Ceci est tr�s clair : cette chienne boxer de belle taille et qui, � en croire ceux qui l'observent, a pour moi des sentiments d'amour, se laisse aller � des exc�s de passion envers moi dans lesquels elle prend un aspect tout � fait redoutable pour les �mes plus timor�es telles qu' il en existe, par exemple, � tel niveau de ma descendance : -(->p47) III/8- il semble qu'on y redoute que, dans les moments où  elle commence � me sauter dessus en couchant les oreilles et � gronder d'une certaine fa�on, le fait qu'elle prenne mes poignets entre ses dents puisse passer pour une menace. Il n'en est  pourtant rien. Tr�s vite, et c'est pour cela qu'on dit qu' elle m'aime, quelques mots de moi font tout rentrer dans ordre, voire au bout de quelques r�it�rations, par l'arr�t du jeu. C'est qu'elle sait tr�s bien que c'est moi qui suis l�, elle ne me prend jamais pour un autre, contrairement � ce que toute votre exp�rience est l� pour t�moigner de ce qui se passe dans la mesure o�, dans l'exp�rience analytique, vous vous mettez dans les conditions d'avoir un sujet "pur-parlant", si je puis m'exprimer ainsi comme on dit un p�t� pur-porc. Le sujet pur-parlant comme tel, c'est la naissance m�me de notre exp�rience, est amen�, du fait de rester pur-parlant, � vous prendre toujours pour un autre. S'il y a quelque �l�ment de progr�s dans les voies o� j'essaie de vous mener, c'est de vous (blanc- proposition : aider � comprendre) qu'� vous prendre pour un autre, le sujet vous met au niveau de l'Autre avec un grand A.

    C'est justement cela qui manque � ma chienne : il n'y a pour elle que le petit autre. Pour le grand Autre, il ne semble pas que son rapport au langage lui en donne l'acc�s. Pourquoi, puisqu'elle parle n'arriverait-elle point comme nous a constituer ces articulations d'une fa�on telle que le lieu, pour elle comme pour nous, se d�veloppe de cet Autre o� se situe la cha�ne signifiante ?

D�barrassons-nous du probl�me en disant que c'est son odorat qui l'en emp�che, et nous ne ferons que retrouver l�  (->p48) III/9- une indication classique, � savoir que la r�gression organique chez l'homme de l'odorat est pour beaucoup dans son acc�s � cette dimension Autre.

    Je suis bien au regret d'avoir l'air, avec cette r�f�rence, de r�tablir la coupure entre l'esp�ce canine et l'esp�ce humaine. Ceci pour vous signifier que vous auriez tout � fait tort de croire que le privil�ge pour moi donn� au langage participe de quelque orgueil � cacher cette sorte de pr�jug� qui ferait de l'homme justement quelque sommet de l'�tre. Je temp�rerai cette coupure en vous disant que s'il manque � ma chienne cette sorte de possibilit� non d�gag�e comme autonome avant l'existence de l'analyse qui s'appelle la capacit� de transfert, cela ne veut pas du tout dire que �� r�duise avec son partenaire, je veux dire avec moi-m�me, le champ path�tique de ce qu'au sens courant du terme, j'appelle justement les relations humaines. Il est manifeste, dans la conduite de ma chienne, concernant pr�cis�ment le reflux sur son propre �tre des effets de confort, des positions de prestige, qu'une grande part, disons-le, pour ne pas dire la totalit� du registre de ce qui fait le plaisir de ma propre relation, par exemple, avec une femme du monde, est l� tout � fait au complet. Je veux dire que, quand elle occupe une place privil�gi�e comme celle qui consiste � �tre grimp�e sur ce que j'appelle ma couche, autrement dit le lit matrimonial, la sorte d'oeil dont elle me fixe en cette occasion, suspendue entre la gloire d' occuper une place dont elle rep�re parfaitement 1a signification privil�gi�e et la crainte du geste imminent qui va l'en faire d�guerpir, n'est point une dimension diff�rente de ce qui pointe dans l'oeil de ce que j'ai appel�, par pure d�ma(p->49)III/10-gogie, la femme du monde ; car si elle n'est pas, en ce qui me concerne ce qu'on appelle le plaisir de la conversation, un sp�cial privil�ge, c'est bien le m�me oeil qu'elle a, quand apr�s s'�tre aventur�e dans un dithyrambe sur tel film qui lui para�t le fin du fin de l'av�nement technique, elle sent sur elle suspendue de ma part la d�claration que je m'y suis  emmerd� jusqu'� la garde, ce qui du point de vue du nihil mirari , qui est la loi de la bonne soci�t�, fait  d�j� surgir en elle cette suspicion qu'elle aurait mieux fait de me laisser  parler le premier.

    Ceci pour temp�rer, ou plus exactement pour r�tablir le sens de la question que je pose concernant la parole au langage, est destin� � introduire ce que je vais essayer de d�gager pour vous concernant ce qui sp�cifie un langage comme tel ; la langue comme on dit, pour autant c'est le privil�ge de l'homme, �� n'est pas tout de suite tout  � fait clair, pourquoi cela y reste confin� ? Ceci vaut d'�tre �pel� c'est, le cas de le dire. J'ai parl� de la langue, par exemple, il n'est pas indiff�rent de noter - du moins pour ceux qui n'ont pas entendu parler de Rousselot ici pour la  premi�re fois, c'est tout de m�me bien n�cessaire que vous sachiez au moins comment c'est fait les r�flexes de Rousselot - je me permets de voir tout de suite l'importance de ceci, qui  a �t� absent dans mon explication de tout � 1'heure concernant ma chienne, c'est que je parle de quelque chose de pharyngal, de glottal, et puis de quelque chose qui fr�missait tout par ci par l� et donc qui est enregistrable en terme de pression, de tension. Mais je n'ai point parl� d'effets de langue : il (p50->)III/11 -n'y a rien qui fasse un claquement par exemple, et encore bien  moins qui fasse une occlusion ; il y a flottement, fr�missement, souffle, il y a toutes sortes de choses qui s'en approchent, mais il n'y a pas d'occlusion. 
Je ne veux pas aujourd'hui trop m'�tendre, cela va reculer les choses concernant le 1 ; tant pis, il faut prendre le temps d' expliquer les choses. Si je le souligne au passage, dites-vous le bien que ce n'est pas pour le plaisir, c'est parce que nous en retrouverons - et nous ne pourrons le faire que bien apr�s coup- le sens. Ce n'est peut-�tre pas un pilier essentiel de notre explication, mais cela prendra en tout cas bien son sens � un moment, ce temps de l'occlusion ; et les trac�s de Rousselot, que peut-�tre vous aurez consult� dans l'intervalle de votre c�t�, ce qui me permettra d'abr�ger mon explication, seront peut-�tre l� particuli�rement parlants.

    Pour bien imaginer d�s maintenant pour vous ce que c'est que cette solution, je vais vous en donner un exemple : le phon�ticien touche d'un seul pas - et ce n'est pas sans raison vous allez le voir - le phon�me PA et le phon�me AP, ce qui lui permet de poser les principes de l'opposition de l'implosion AP � l'explosion PA et de nous montrer que la consonance du P est, comme dans le cas de votre fille, d'�tre muette. Le sens du P est entre cette implosion et cette explosion. Le P s'entend pr�cis�ment de ne point s'entendre et ce temps muet du milieu, retenez la formule, est quelque chose qui, au seul  niveau phon�tique de la parole, est comme qui dirait une sorte d'annonce d'un certain point o�, vous verrez, je vous m�nerai apr�s quelques d�tours. Je profite simplement du passage par ma chienne, pour vous le signaler au passage et pour vous faire (->p51) III/12- remarquer en m�me temps que cette absence des occlusives dans la parole de ma chienne, est justement ce qu'elle a de commun avec une activit� parlante que vous connaissez bien et qui s'appelle le chant.

    S'il arrive que vous ne compreniez pas ce que jaspine la chanteuse, c'est justement parce qu'on ne peut pas chanter les occlusives et j'esp�re aussi que vous serez contents de retomber sur vos pieds et de penser que tout s'arrange puisqu'en somme ma chienne chante, ce qui la fait rentrer dans le concert des animaux. Il y en a bien d'autres qui chantent et la question n'est pas toujours d�montr�e de savoir s'ils ont pour autant un langage.

    De ceci on en parle depuis toujours, 1e chaman dont j'ai la figure sur un tr�s beau petit oiseau gris fabriqu� par les Kwakiutl de la Colombie britannique porte sur son dos une sorte d'image humaine qui communique d'une langue qui le relie avec une grenouille : la grenouille est cens�e lui communiquer le langage des animaux. Ce n'est pas la peine de faire tellement d'ethnographie puisque, comme vous le savez, Saint- Fran�ois leur parlait aux animaux : ce n'est pas un personnage mythique, il vivait dans une �poque formidablement �clair�e d�j� de son temps par tous les feux de l'histoire. I1 y a des gens qui ont fait de tr�s jolies petites peintures pour nous le montrer au haut d'un rocher, et on voit jusqu'au fin bout de l'horizon des bouches de poissons qui �mergent de la mer pour l'entendre ce qui quand m�me, avouez-le, est un comble.

    On peut � ce propos se demander quelle langue il leur parlait. Cela a un sens toujours au niveau de la linguistique (->p52) III/13 - moderne, et au niveau de l'exp�rience psychanalytique . Nous avons appris � d�finir parfaitement la fonction dans certains av�nements de la langue de ce qu'on appelle le parler babyish, cette chose qui � certains, � moi par exemple, tape tellement sur les nerfs le genre "guili, guili, qu'il est mignon le petit" . Cela a un r�le qui va bien au-del� de ces manifestations connot�es � la dimension niaise, la niaiserie consistant en l'occasion dans le sentiment de sup�riorit� de l'adulte. Il n'y a  pourtant aucune distinction essentielle entre ce qu'on appelle ce  parler babyish et, par exemple, une sorte de langue comme celui qu'on appelle le pidgin c'est-�-dire ces sortes de langues , constitu�es quand entrent en rapport deux esp�ces d'articulation langagi�re, les tenants de l'une se consid�rant comme � la fois en n�cessit� et en droit d'user certains �l�ments signifiants qui sont ceux de l'autre aire, et ceci dans le dessein de s'en servir pour faire p�n�trer dans l'autre aire un certain nombre de communications qui sont propres � leur aire propre, avec cette sorte de pr�jug� qu'il s'agit dans cette op�ration de leur faire passer, de leur transmettre des cat�gories d'un ordre sup�rieur. Ces sortes d'int�gration entre aire et aire langagi�re sont un des champs d'�tude de la linguistique, donc m�ritent comme telles d'�tre prises dans une valeur tout � fait objective gr�ce au fait qu'il existe justement, par rapport au langage, deux mondes diff�rents dans celui de l'enfant et dans celui de l'adulte. Nous pouvons d'autant moins ne pas en tenir compte, nous pouvons d'autant moins le n�gliger que c'est dans cette r�f�rence que nous pouvons trouver l'origine de certains traits un peu paradoxaux de la constitution des batteries signifiantes , je veux dire la tr�s par-(->p53) III/14-ticuli�re pr�valence de certains phon�mes dans la d�signation de certains rapports qu'on appelle la parent�  , la non pas universalit� mais �crasante majorit� des phon�mes pa et ma pour d�signer, pour fournir au moins un des modes de d�signation du p�re et de la m�re ; cette irruption de quelque chose qui ne se justifie que d'�l�ments de gen�se dans l'acquisition d'un langage, c'est-�-dire de faits de pure parole, ceci ne s'explique pr�cis�ment � partir de la perspective d'un rapport entre deux sph�res de langage distinctes. Et vous voyez ici quelque chose qui est encore le trac� d'une fronti�re. Je ne pense pas l� innover puisque vous savez ce qu'� tent� commencer � pointer sous le titre de "Confusion of tongues", Ferenczi tr�s sp�cifiquement � ce niveau du rapport verbal de l'enfant et de l'adulte.

    Je sais que ce long d�tour ne me permettra pas d'aborder aujourd'hui la fonction de l'Un, cela va me permettre d'y ajouter, car il ne s'agit en fin de compte dans tout cela que de d�blayer, � savoir que vous ne croyiez pas que l� o� je vous m�ne ce soit un champ qui soit, par rapport � votre exp�rience ext�rieur, c'est au contraire le champ le plus interne puisque  cette exp�rience, celle par exemple que j'ai �voqu�e tout � l' heure nomm�ment dans la distinction ici concr�te de l'autre � l'Autre, cette exp�rience nous ne pouvons faire que la traverser. L'identification, � savoir ce qui peut faire tr�s pr�cis�ment, et aussi intens�ment qu'il est possible, de l'imaginer de mettre sous quelqu'�tre de vos relations la substance d'un autre, c'est quelque chose qui s'illustrera dans un texte "ethnographique" � l'infini puisque justement c'est l�-dessus qu'on a b�ti, (->p54) III/15- avec Levy-Br�hl, toute une s�rie de conceptions th�oriques qui s'expriment sous les termes : mentalit� pr�logique, voire m�me plus tard participation mystique, quand il a �t� amen� � plus sp�cialement centrer sur la fonction de l'identification l'int�r�t de ce qui lui semblait la voie de 1'objectivation du champ pris pour le sien propre. Je pense ici, vous savez sous quelle parenth�se, sous quelle r�serve expresse seulement peuvent �tre accept�s les rapports intitul�s de telles rubriques. C'est quelque chose d'infiniment plus commun qui n'a rien � faire avec quoi que ce soit qui mette en cause la logique, ni la rationalit�, d'o� il faut partir pour situer ces faits (archa�ques ou non) de l'identification comme telle. C' est un fait de toujours connu et encore constatable pour nous, quand nous nous adressons � des sujets pris dans certains contexte qui restent � d�finir, que ces sortes de fait - je vais les intituler par des termes qui bousculent les barri�res, qui mettent les pieds dans le plat, de fa�on � bien faire entendre que je n'entends ici m'arr�ter � aucun cloisonnement destin� � obscurcir la primarit� de certain ph�nom�ne - ces ph�nom�nes de fausse reconnaissance, disons d'un c�t� de bilocation,  disons de l'autre, au niveau de telle exp�rience, dans les rapports, � relever les t�moignages, foisonnent. L'�tre humain il s'agit de savoir pourquoi, c'est � lui que ces choses l� arrivent ; contrairement � ma chienne, l'�tre humain reconna�tre, dans le surgissement de tel animal, le personnage qu'il vient de perdre, qu'il s'agisse de sa famille ou de tel personnage �minent de sa tribu, le chef ou non, pr�sident de telle soci�t� de jeunes ou qui que ce soit d'autre ; c'est lui ce bison, c'est lui, ou comme dans telle l�gende celtique dont c'est pur hasard, si elle vient ici pour moi puisqu'il (->p55) III/16- faudrait que je parle pendant l'�ternit� pour vous dire tout ce qui peut se lever dans ma m�moire � propos de cette exp�rience centrale ... Je prends une l�gende celtique qui n' est point une l�gende, qui est un trait de folklore relev� du t�moignage de quelqu'un qui fut serviteur dans une ferme. À la mort du ma�tre du lieu, du seigneur, il voit appara�tre une petite souris, il la suit, la petite souris va faire le tour du champ, elle se ram�ne, elle va dans la grange o� il y a les instruments aratoires,-elle s'y prom�ne sur ces instruments : sur la charrue, la houe, la pelle et d'autres, puis elle dispara�t. Apr�s cela le serviteur, qui savait d�j� de quoi il s'agissait concernant la souris, en a la confirmation dans l'apparition du fant�me de son ma�tre qui lui dit, en effet : j'�tais dans cette petite souris, j'ai fait le tour du domaine pour lui dire adieu je devais voir les instruments aratoires parce que ce sont l� les objets essentiels auxquels l'on reste plus longtemps attach� qu'� tout autre, et c'est seulement apr�s avoir fait ce tour que j'ai pu m'en d�livrer etc... avec d'infinies consid�rations concernant � ce propos une conception de rapports du tr�pass� et de certains instruments, li�s � de certaines conditions de travail, conditions proprement paysannes, ou plus sp�cialement agraires, agricoles. Je prends cet exemple pour centrer le regard sur l'identification de l'�tre concernant deux apparitions individuelles aussi manifestement et aussi fortement � distinguer de celle qui peut concerner l'�tre qui, par rapport au sujet narrateur, a occup� la position �minente du ma�tre avec cet animalcule contingent, allant on ne sait o�, s'en allant nulle part. Il y a l� quelque chose qui, � soi tout seul, m�rite d'�tre pris non pas simplement comme � expliquer (->p56) III/17- comme cons�quence, mais comme possibilit� qui m�rite comme telle d'�tre point�e.

    Est-ce � dire qu'une telle r�f�rence puisse engendrer autre chose que la plus compl�te opacit� ?

    Ce serait mal reconna�tre le type d'�laboration, l'ordre d'effort que j'exige de vous dans mon enseignement, que de penser que je puisse d'aucune fa�on me contenter, m�me � effacer les limites, d'une r�f�rence folklorique pour consid�rer comme naturel le ph�nom�ne d'identification , car une fois que nous avons reconnu ceci comme fond de l'exp�rience, nous n'en savons absolument pas plus, justement dans la mesure o� � ceux � qui je parle �a ne peut pas arriver, sauf cas exceptionnels. I1 faut toujours faire une petite r�serve : soyez s�rs que �a peut encore parfaitement arriver dans telle ou telle zone paysanne. Que �a ne puisse pas, vous � qui je parle, vous arriver, c'est �a qui tranche la question : du moment que �a ne peut pas vous arriver, vous ne pouvez rien y comprendre et, ne pouvant rien y comprendre, ne croyez pas qu'il suffise que vous connotiez l'�v�nement d'une t�te de chapitre, que vous l'appeliez avec M. Levy-Br�hl participation mystique, ou que vous le fassiez rentrer avec le m�me dans le plus grand ensemble de la mentalit� pr�logique, pour que vous ayez dit quoi que ce soit d'int�ressant.

    I1 reste que ce que vous pouvez en apprivoiser, en rendre plus familier � l'aide de ph�nom�nes plus att�nu�s, ne sera pas pour autant plus valable puisque �a sera de ce fond opaque que vous partirez. Vous retrouvez encore l� une r�f�rence d'Apol-(->p57) III/18-linaire "Mange tes pieds � la Sainte M�n�hould", dit quelque part le h�ros de 1'h�ro�ne des "Mamelles de Tiresias" � son mari. Le fait de manger vos pieds � la Mitsein n'arrangera rien. Il s'agit de saisir pour nous le rapport de cette  possibilit� qui s'appelle identification, eu sens o� de l� surgit ce qui n'existe que dans le langage, et gr�ce au langage, une v�rit� � quoi c'est l� une identification qui ne se distingue point pour le valet de ferme qui vient de vous raconter l'exp�rience dont je vous ai tout � l'heure parl� ; et pour nous qui fondons la v�rit� sur A est A : c'est l� m�me chose parce que ce qui sera le point de d�part de mon discours de la prochaine fois, ce sera ceci : pourquoi A est A est-il une absurdit� ?...

    L'analyse stricte de la fonction du signifiant, pour autant que c'est par elle que j'entends introduire pour vous la question de la signification, c'est � partir de ceci : c'est que si le A est A, a constitu�, si je puis dire, la condition de tout un �ge de la pens�e dont l'exploration cart�sienne par laquelle j'ai commenc� est le terme - ce qu'on peut appeler l' �ge th�ologique - il n'en est pas moins vrai que l'analyse linguistique est corr�lative � l'av�nement d'un autre �ge, marque de corr�lations techniques pr�cises parmi lesquelles est l'av�nement math�matique, je veux dire dans les math�matiques, d'un usage �tendu du signifiant. Nous pouvons nous apercevoir que si le "a" est "a" ne va pas, je ferai avancer le probl�me de l'identification. Je vous indique d'ores et d�j� que je ferai tourner ma d�monstration autour de la fonction de l'un ; et pour ne pas vous laisser totalement en suspens et pour que peut-�tre vous envisagiez chacun de commencer � vous formuler quelque chose sur la voie de ce que je vais (->p58) III/19- là-dessus vous dire, je vous prierai de vous reporter au chapitre du cours de linguistique de De Saussure qui se termine � la page 175. Ce chapitre se termine par un paragraphe qui commence p. 174 et, je vous en lis le paragraphe suivant :

    "Appliqu� � l'unit�, le principe de diff�renciation peut se formuler ainsi : les caract�res de l'unit� se confondent avec l'unit� elle-m�me . Dans la langue, comme dans tout syst�me s�m�iologique - ceci m�ritera d'�tre discut� - ce qui caract�rise un signe, voil� tout ce qui le distingue. C'est la diff�rence qui fait le caract�re comme elle fait la valeur de l'unit�".

    Autrement dit, � la diff�rence du signe - et vous le verrez se confirmer pour peu que vous lisiez ce chapitre ce qui distingue le signifiant, c'est seulement d'�tre ce que tous les autres ne sont pas ; ce qui, dans le signifiant, implique cette fonction de l'unit�, c'est justement de n'�tre que diff�rence. C'est en tant que pure diff�rence que l'unit�, dans sa fonction signifiante, se structure, se constitue. Ceci n'est pas un trait unique. En quelque sorte, il constitue d'une abstraction unilat�rale concernant la relation par exemple synchronique du signifiant. Vous 1e verrez la prochaine fois, rien n'est proprement pensable, rien de la fonction n' est proprement pensable, sans partir de ceci que je formule : l'un comme tel est l'Autre. C'est � partir de ceci, de cette fonci�re structure de l'un comme diff�rence que nous pouvons voir appara�tre cette origine d'o� l'on peut voir le signifiant se constituer, si je puis dire : c'est dans l'Autre que le A du "A est A", le grand A, comme on dit le grand mot, est l�ch�.

    (->p59) III/20 Du processus de ce langage du signifiant, ici seulement peut partir une exploration qui soit fonci�re et radicale de ce que comme quoi se constitue l'identification. L'identification  n'a rien � faire avec l'unification. C'est seulement � l'en distinguer qu'on peut lui donner, non seulement son accent essentiel, mais ses fonctions et ses vari�t�s.

note: bien que relu, si vous d�couvrez des erreurs manifestes dans ce s�minaire, ou si vous souhaitez une pr�cision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un [mailto:gaogoa@free.fr �mail]. [#J.LACAN Haut de Page] 
[../../erreurs.htm commentaire]        v�rifi� en ao�t 2002 ; relu et coorigé par Eric MOCHER le 23.08.2004